Que s'est-il passé?

Le plaignant – qui s'identifie comme un homme transgenre utilisant les pronoms masculins « il » et « lui » – s'est vu attribuer un autre nom à la naissance, qu'il n'a pas été en mesure de changer légalement. Tout au long de son emploi chez l'intimé, propriétaire d'une entreprise située dans une petite ville, il a souvent été appelé par son morinom (c.-à-d. par son nom de naissance), a été mégenré et s'est fait poser des questions indiscrètes sur sa transidentité par les intimés.

Le plaignant a allégué que les intimés avaient refusé d'utiliser ses pronoms et son nom exacts, continuant ainsi de le mégenrer et de le morinommer tout au long de sa période d'emploi. Le plaignant a également allégué que, même après avoir expliqué à son employeur les dangers que pouvait entraîner la révélation publique de son statut de personne transgenre dans une petite ville, le propriétaire a continué à agir de la sorte.

Estimant que sa dignité, sa sécurité et sa vie privée n'étaient pas prises au sérieux, le plaignant a quitté son emploi et déposé une plainte pour violation des droits de la personne contre le propriétaire de l'entreprise, son ancien employeur et un autre collègue.

Quelle a été la décision du Tribunal?

Le Tribunal a conclu que le plaignant a été harcelé au travail en raison de son identité ou de son expression de genre, et a affirmé que le plaignant était [traduction] « vulnérable en raison des forces de l'inégalité systémique qui continuent d'opprimer, de marginaliser et de discriminer les personnes transgenres »1.

Le Tribunal a également conclu que :

  • Les intimés ont reconnu avoir mégenré et morinommé le plaignant, mais qu'ils ont continué de le faire lorsqu'ils parlaient directement au plaignant, avec d'autres employés et avec des amis de la communauté qui se rendaient sur le lieu de travail;
  • Les intimés ont fait d'autres commentaires inappropriés au sujet de l'identité ou de l'expression de genre du plaignant, notamment en lui demandant quelle toilette il utilisait, malgré qu'il n'y avait qu'une seule toilette sur le lieu de travail;
  • Les intimés ont mégenré le plaignant pendant l'audience et ont continué de le faire, même après avoir été corrigés par le Tribunal et l'avocat du plaignant;
  • Le plaignant était particulièrement vulnérable, car il craignait que son statut de personne transgenre soit révélé dans une petite ville où il avait déménagé afin d'accepter son poste;
  • La perte d'emploi du plaignant était attribuable à son sentiment de ne pas avoir d'autre choix que de quitter un milieu de travail où il n'était pas désigné par son nom et ses prénoms;
  • Le mégenrage ou le morinommage constituent un traitement défavorable en ce qui concerne l'emploi du plaignant.

Ayant conclu que la discrimination qu'il avait vécue a mené à la perte de son emploi, une situation qualifiée par le Tribunal comme étant une « conséquence très grave »2, le Tribunal a accordé au plaignant une indemnité de 18 000 $ pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l'estime de soi, admettant que le comportement incessant des intimés plaidait en faveur d'un montant plus élevé. Le Tribunal a notamment reconnu que les craintes du plaignant quant à sa sécurité et à la discrimination qu'il pourrait subir à la suite de la divulgation de son identité de genre dans sa petite communauté étaient le résultat du traitement qu'il a subi, traitement que le Tribunal a qualifié d'« inconsidéré » [traduction].

Ce que les employeurs doivent retenir

Cette affaire fait suite aux conclusions des tribunaux de l'Ontario et de la Colombie-Britannique qui concernaient les expériences de personnes des communautés 2SLGBTQIA+ au travail et dont les conclusions sont les suivantes :

  • Le mégenrage et le morinommage, ou l'utilisation de pronoms incorrects, constituent un traitement défavorable en matière d'emploi;
  • Les insultes transphobes ou les questions indiscrètes en milieu de travail peuvent faire en sorte que les employés craignent pour leur sécurité, et ce, non seulement au travail, mais aussi dans leurs communautés;
  • L'absence de réponse adéquate de l'employeur aux inquiétudes relatives à une situation de mégenrage, de morinommage et de divulgation de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre d'une personne dans le milieu de travail a un effet préjudiciable.

Ces décisions rappellent également aux employeurs que les signalements de discrimination et de harcèlement en milieu de travail doivent être pris au sérieux. La mise en œuvre de politiques par l'éducation et l'engagement de l'employeur envers l'équité, la diversité et l'inclusion est essentielle pour créer des milieux de travail plus inclusifs. Les employeurs doivent raisonnablement faire enquête sur les plaintes pour discrimination et les traiter de manière appropriée, faute de quoi ces situations auront une incidence défavorable et entraîneront des responsabilités pécuniaires et non pécuniaires.

Il est primordial d'élaborer et/ou de revoir les politiques et pratiques existantes en milieu de travail dans une perspective d'équité, de diversité et d'inclusion. 

Il serait pertinent que les employeurs fournissent aux employés de l'information, des ressources et des séminaires de formation et s'assurent que les mesures de soutien et les procédures appropriées sont en place pour leurs travailleurs issus de la diversité qui pourraient être affectés.

Footnotes

1. Nelson v. Goodberry Restaurant Group Ltd. dba Buono Osteria and others, 2021 BCHRT 137, au par. 37

2. Ibid at para. 148

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