Le 9 février 2024, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision concernant le Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières nations, des Inuits et des Métis. La Cour a unanimement conclu que la Loi concernant les Enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, LC 2019, c 24 (« Loi ») est constitutionnelle dans son entièreté, en ce qu'elle relève de la compétence législative du Parlement sur « [l]es Indiens et les terres réservées pour les Indiens » (art. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867).

Contexte

La Loi s'inscrit dans un programme législatif visant à mener à bien la réconciliation avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis, et ce, « grâce à des relations renouvelées de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et la Couronne, qui reposent sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat » (préambule de la Loi). Ainsi, les trois volets de l'objet de la Loi sont :

  • affirmer le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, lequel comprend la compétence en matière de services à l'enfance et à la famille;
  • énoncer des principes applicables à la fourniture de services à l'enfance et à la famille à l'égard des enfants autochtones, et ce, à l'échelle nationale; et
  • contribuer à la mise en Suvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtonesDNUDPA»).

Le 20 décembre 2019, la procureure générale du Québec a soumis par renvoi à la Cour d'appel du Québec la question de la validité constitutionnelle de la Loi. La Cour d'appel a jugé que la Loi était constitutionnelle, sauf pour les art. 21 et 22(3), qui auraient pour effet de modifier unilatéralement la Constitution en donnant priorité aux textes législatifs d'un groupe, d'une collectivité ou d'un peuple autochtones sur les lois provinciales.

Le procureur général du Québec et le procureur général du Canada ont tous les deux interjeté appel de l'avis rendu par la Cour d'appel du Québec. L'affaire a été entendue par la Cour suprême du Canada en décembre 2022.

Analyse

La Cour suprême conclut que le caractère véritable de la Loi est « protéger le bien-être des enfants, des jeunes et des familles autochtones en promouvant la fourniture de services à l'enfance et à la famille culturellement adaptés et, ce faisant, de contribuer au processus de réconciliation avec les peuples autochtones ». La Cour suprême est d'avis que la Loi relève « nettement » de la compétence du Parlement sur les « Indiens » (art. 91(24)) de la Loi constitutionnelle de 1867). La Cour aborde ensuite les arguments soulevés à l'égard de dispositions spécifiques.

Dispositions affirmant l'autonomie gouvernementale (art. 7, 8 et 18 de la Loi)

Par ces dispositions, le Parlement énonce sa position à l'égard du contenu de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, en affirmant que les services à l'enfance relèvent d'un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

La Cour d'appel a jugé que ces dispositions étaient valides et que le droit ancestral à l'autonomie gouvernementale revendiqué comprenait à tout le moins le droit à l'autoréglementation en matière de services à l'enfance et à la famille.

Contrairement à la Cour d'appel, la Cour suprême ne se prononce pas sur la question de savoir si cette affirmation législative est conforme aux limites de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, car elle estime que cela n'est pas nécessaire pour répondre à la question qui fait l'objet du renvoi. La Cour suprême conclut que, par ces dispositions de la Loi, le Parlement ne modifie pas unilatéralement la Constitution, mais affirme plutôt sa propre compréhension de la portée de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ce faisant, le Parlement lie le gouvernement fédéral (et potentiellement les gouvernements provinciaux), mais pas les tribunaux. La Cour suprême ajoute que l'importance de cette affirmation législative sera sans doute « un facteur à considérer lorsque les tribunaux seront appelés à trancher formellement la question de la portée de l'art. 35 ».

Dispositions établissant des normes nationales (art. 9 à 17 de la Loi)

Ces dispositions établissent des normes nationales visant la fourniture de services à l'enfance et à la famille culturellement adaptés applicables partout au Canada. Ce cadre normatif lie les fournisseurs fédéraux et provinciaux assurant de tels services, ainsi que les fournisseurs autochtones dans certains cas.

La Cour d'appel a conclu que ces dispositions étaient valides, car elles visaient à assurer la pérennité de la culture des peuples autochtones, un objectif qui s'arrime avec le cSur de la compétence fédérale. Contrairement à ce qu'argumentait la procureure générale du Québec, la Cour d'appel a conclu que la doctrine de l'exclusivité des compétences ne trouvait pas application, car les art. 9 à 17 de la Loi n'entravaient pas le cSur de la compétence provinciale sur « la création et la tenure des charges provinciales, et la nomination et le paiement des officiers provinciaux », prévue à l'art. 92 (4) de la Loi constitutionnelle de 1982.

La Cour suprême maintient elle aussi la validité de ces articles, sans toutefois référer à la doctrine de l'exclusivité des compétences. La Cour suprême écrit que le Parlement a le pouvoir de lier les gouvernements provinciaux à l'égard des domaines de compétence fédérale. De plus, les normes nationales imposées par la Loi ne sont pas précises ou inflexibles et les fonctionnaires provinciaux conservent une importante discrétion dans la prise de décisions relatives aux enfants autochtones. D'ailleurs, la Cour suprême rappelle que le Québec a déjà mis en place des initiatives en matière de protection à l'enfance à l'égard des enfants autochtones qui ont inspiré la démarche du Parlement. Enfin, les normes nationales s'appliquent à tous les fournisseurs de services, qu'il s'agisse de fonctionnaires provinciaux ou non. En conséquence de ce qui précède, les effets des normes nationales sur l'exercice par les provinces de leurs compétences ne sont qu'accessoires.

Dispositions énonçant des mesures concrètes de mise en Suvre de la DNUDPA (art. 20 à 24 de la Loi)

Ces dispositions prévoient qu'un groupe, une collectivité ou un peuple autochtones peut adopter des textes législatifs en matière de services à l'enfance, que ceux-ci ont force de loi et qu'ils l'emportent sur les dispositions provinciales.

La Cour d'appel était d'avis que ces articles étaient inconstitutionnels puisqu'ils modifiaient l'architecture de la Constitution. Pour la Cour d'appel, ces articles visaient à étendre la portée de la doctrine de la prépondérance fédérale aux textes législatifs d'un groupe, d'une collectivité ou d'un peuple autochtones en matière de services à l'enfance et à la famille. Or, de tels textes législatifs ne sont pas des lois fédérales adoptées en vertu à l'art. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, mais plutôt des lois autochtones qui répondent à des impératifs autochtones.

La Cour suprême juge plutôt que ces articles sont valides. En effet, il est établi qu'il est constitutionnellement loisible au Parlement de recourir à l'incorporation anticipatoire par renvoi. Cette technique de rédaction permet au législateur d'adopter les règles de droit d'un autre ressort, incluant les textes législatifs des groupes, collectivités ou peuples autochtones en matière de service à la famille, sans avoir à les reproduire dans sa propre loi. Selon la doctrine de la prépondérance fédérale, ces dispositions dûment incorporées au droit fédéral l'emportent sur les dispositions incompatibles de droit provincial, ce qui est d'ailleurs prévu à l'art. 22 (3) de la Loi.

La DNUDPA et son impact en droit canadien

La Cour suprême en profite pour commenter l'impact de la DNUDPA en droit canadien. Bien que la DNUDPA n'ait pas force exécutoire au Canada, elle est intégrée dans le droit positif canadien par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui indique que la DNUDPA fournit un cadre pour la réconciliation.

Selon la Cour suprême, la Loi est un exemple de mesure législative qui permet d'intégrer les engagements du Canada dans le cadre de la DNUDPA et qui a donc pour effet pratique anticipé de rendre le droit canadien davantage compatible avec la DNUDPA. La Cour suprême est d'avis que les mesures concrètes de mise en Suvre incorporées à la Loi doivent donc être interprétées à la lumière de la DNUDPA. De plus, la Cour suprême réfère à de nombreuses reprises à la DNUDPA pour définir le caractère véritable de la Loi et pour justifier sa constitutionnalité.

Conclusion

Cette décision a d'importantes conséquences pour les collectivités autochtones. Elle fournit des lignes directrices sur la compétence constitutionnelle du Parlement de mettre en Suvre la DNUDPA et sur la validité des voies juridiques qu'il peut emprunter pour ce faire. De plus, ce jugement est susceptible d'éclairer les tribunaux quant à l'interprétation à donner à la DNUDPA et sa portée en droit canadien.

La décision pourrait aussi avoir des impacts en droit constitutionnel plus généralement, notamment quant au pouvoir du Parlement d'adopter des dispositions législatives « affirmant » son interprétation de dispositions constitutionnelles, de lier les gouvernements provinciaux ou de déléguer des pouvoirs législatifs.

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L./s.r.l. a représenté une intervenante devant la Cour suprême du Canada dans cette affaire. Les opinions exprimées dans le présent billet sont celles des auteurs uniquement.

To view the original article click here

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.