Le 26 février 2024, le Projet de loi C-63 soit la  Loi édictant la Loi sur les préjudices en lignes ci-après le («Projet de loi»), a fait l'objet de sa première lecture à la Chambre des communes du Parlement canadien1.

Cet article porte sur l'objet et la portée du Projet de loi, les changements qui seront apportés au régime actuel et leurs conséquences pour les entreprises privées qui devront les mettre en Suvre.

Venant modifier plusieurs lois comme le Code criminel, la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet et d'autres lois connexes, le Projet de loi a pour objectif de renforcer la protection des enfants en ligne, de mieux protéger les Canadiens contre la propagande haineuse et d'autres types de contenu préjudiciable en ligne, et de veiller à ce que les exploitants de services de médias sociaux assujettis à la loi soient transparents et tenus de rendre des comptes à l'égard des obligations qui leur incombent au titre de la loi2.

Actuellement et depuis plusieurs années déjà, la responsabilité d'assurer la sécurité en ligne relève des utilisateurs et utilisatrices des services ou de leurs parents. En effet, les plateformes en ligne et les services de diffusion en direct n'ont pas d'obligation spécifique d'assurer une surveillance à l'égard de leurs usagers ou d'agir, sauf dans le cas où un incident ou un potentiel préjudice leur est rapporté. Rappelons qu'en vertu du droit québécois un gestionnaire de plateforme n'a aucune obligation de surveiller ou valider l'information contenue sur son site3, c'est notamment ce que prévoit l'article 27 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information4. De même, un gestionnaire n'est pas responsable du contenu ciblé par les utilisateurs de plateforme5. Toutefois, un intermédiaire peut néanmoins engager sa responsabilité lorsqu'il a connaissance du caractère illicite du matériel hébergé sur sa plateforme et qu'il refuse de le retirer.6

L'objet visé par le projet de loi : le contenu préjudiciable

Le Projet de loi imposerait donc une plus grande responsabilité et des exigences de transparence de la part des opérateurs de médias sociaux à travers le pays notamment en les obligeant à agir, à protéger les enfants, à rendre les contenus préjudiciables inaccessibles et à tenir les registres nécessaires. Sous cette responsabilité, les opérateurs de médias sociaux et les services de diffusion devraient établir des mesures spécifiques pour réduire le risque découlant de sept types de contenu préjudiciable soit :

  • Le contenu représentant de la victimisation sexuelle d'enfants ou perpétuant la victimisation de survivantes et survivants;
  • Le contenu intime communiqué de façon non consensuelle;
  • Le contenu fomentant la haine;
  • Le contenu incitant à l'extrémisme violent ou au terrorisme;
  • Le contenu incitant à la violence;
  • Le contenu visant à intimider un enfant;
  • Le contenu poussant un enfant à se porter préjudice7.

Obligations incombant aux opérateurs de médias sociaux et aux services de diffusion

Le Projet de loi, dans sa première partie prévoit trois obligations primordiales pour les opérateurs de médias sociaux et les services de diffusion : (1) l'obligation d'agir de manière responsable, (2) l'obligation de protéger les enfants et (3) l'obligation de rendre certains contenus inaccessibles. Ces obligations se déclinent en plusieurs exigences détaillées ci-dessous.

Si le Projet de loi est adopté, les opérateurs de médias sociaux et les services de diffusion devront évaluer les risques d'exposition que leurs plateformes ont au contenu préjudiciable et conséquemment adopter des mesures efficaces pour réduire ce risque8. Ils devront également fournir à leurs utilisateurs des directives et des outils pour signaler le contenu préjudiciable et bloquer d'autres utilisateurs9. En plus de cela, les plateformes devront disposer d'un service pour recevoir les plaintes des usagers ou fournir des conseils quant aux préjudices en ligne et désigner une personne-ressource à cet effet10. Dans le cas où un contenu préjudiciable serait publié de manière répétée ou amplifié artificiellement par des communications automatisées, il devrait être étiqueté comme tel11. Cette exigence serait pertinente, par exemple, pour le contenu diffusé à grande échelle par des robots ou des réseaux de robots. Enfin, les plateformes devront déposer et publier, à la Commission de la santé numérique du Canada, des plans de sécurité numérique détaillant les mesures prises, leur efficacité, les indicateurs utilisés pour leur évaluation, ainsi que toute analyse de nouveaux risques ou tendances en matière de sécurité en ligne12. Les plateformes seront aussi tenues d'identifier les ensembles de données utilisées pour assurer la sécurité numérique, les conserver et, le cas échéant, les partager avec des chercheurs qualifiés13.

Quant à l'obligation de protéger les enfants14, les entreprises visées seront obligées d'intégrer, dès la conception de leurs produits et services, des mesures de sécurité adaptées à l'âge et aux intérêts des enfants15. Les services visés suivraient les mesures et les lignes directrices établies par la Commission et concernant la protection des enfants. Des exemples de mesures qui pourraient leur être imposées sont : d'inclure les paramètres par défaut des contrôles parentaux, des étiquettes d'avertissement à l'intention des enfants ou de la recherche sécuritaire à l'intérieur du service en question. La Commission pourrait aussi exiger qu'ils intègrent des moyens pour limiter l'exposition des enfants à du contenu préjudiciable, notamment le contenu sexuel explicite, le contenu intimidant ou incitant à se porter préjudice16.

Quant à l'obligation de limiter l'accès à certains contenus, le Projet de loi prévoit que les plateformes de médias sociaux et les services de diffusion devront bloquer l'accès de leurs usagers aux deux types de contenu considérés comme étant les plus préjudiciables:

  • Le contenu représentant de la victimisation sexuelle d'enfants ou perpétuant la victimisation de survivants et survivantes, et
  • le contenu intime publié de façon non consensuelle, y compris l'hypertrucage de nature sexuelle.

Le contenu visé devra être rendu inaccessible dans un délai de 24 heures ou conformément à tout autre délai prévu par règlement17. Dans le cas où ce type de contenu est signalé, avant de le rendre inaccessible, les opérateurs devront d'abord évaluer si le signalement est futile, vexatoire ou entaché de mauvaise foi et vérifier si le contenu visé par le signalement fait ou a déjà fait l'objet d'un autre signalement et qu'il est inutile de poursuivre l'évaluation dans les circonstances18.

Deux nouvelles structures pour assurer la mise en Suvre du Projet de loi et assurer le respect des droits et obligations qui y sont énoncés

Le Projet de loi prévoit la création de deux organismes pour encadrer les droits et obligations des entreprises visées :

  • Création de la Commission de la sécurité numérique du Canada

Le Projet de loi prévoit la création d'une commission qui aurait le mandat de superviser et d'appliquer le cadre réglementaire de la Loi sur les préjudices en ligne. Ses pouvoirs lui permettraient notamment de recevoir et gérer les plaintes des usagers à l'égard de manquements à des obligations par les plateformes et services, de faire retirer certains contenus préjudiciables, et de promouvoir la résilience de la société face au préjudice en ligne en élaborant de nouvelles normes de sécurité et en fournissant des ressources éducatives pour limiter les risques19.

  • Création d'un bureau de l'obudsman de la sécurité numérique

Est également prévue la création d'un nouveau bureau de l'ombudsman de la sécurité numérique qui serait chargé d'appuyer et de défendre l'intérêt du public en ce qui a trait aux enjeux systémiques touchant la sécurité en ligne. Nommé pour un mandat de 5 ans, l'obdusman serait une personne-ressource pour les utilisateurs et utilisatrices ainsi que les victimes. Dans le cadre de son rôle, il pourrait notamment faire des consultations auprès des usagers,  lancer des d'appels à contributions sur des sujets précis et mettre en lumière des problèmes importants ou systémiques relatifs aux préjudices en ligne auprès des entités concernées20.

Les modifications législatives qui résulteront du Projet de loi C-63

  • Ajout d'infractions de crime haineux dans le  Code criminel

Le Projet de loi crée aussi une nouvelle définition des termes «crime haineux» et «haine» dans le Code criminel  pour clarifier quelles personnes au Canada pourraient tomber dans le cadre de ces infractions.  Les modifications apportées au Code  incluent aussi le fait que toute infraction au Code criminel ou à toute autre loi du Parlement, serait considérée comme un crime haineux, lorsque l'acte sous-jacent serait motivé par la haine en raison de la race, de l'origine nationale ou ethnique, de la langue, de la couleur, de la religion, du sexe, de l'âge, de la déficience mentale ou physique, de l'orientation sexuelle ou de l'identité ou expression de genre. L'infraction serait passible d'une peine maximale d'emprisonnement à vie et permettrait l'inculpation et la poursuite des crimes haineux à l'international. Le Projet de loi augmenterait aussi les peines maximales pour les infractions de propagande haineuse 21.

  • Modification de la  Loi canadienne sur les droits de la personne

Le Projet de loi viendrait aussi modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne afin de considérer la communication de discours haineux comme une pratique discriminatoire. La Commission de la sécurité numérique du Canada serait chargée de traiter les plaintes correspondantes22.

  • Modification à la  Loi relative à la déclaration obligatoire de la pornographie enfantine sur Internet par les personnes qui fournissent un service Internet

Le Projet de loi apporterait aussi des modifications pour améliorer l'intervention et les agissements des forces de l'ordre quant aux crimes d'exploitation sexuelle des enfants. Cela serait fait en créant un organisme de réglementation responsable de l'application de la loi, en clarifiant les services Internet concernés, en simplifiant le processus de notification, en prolongeant les délais de conservation et de prescription des données et en ajoutant des pouvoirs réglementaires23.

Les sanctions envisagées

Finalement, le Projet de loi crée un régime de sanctions administratives pécuniaires qui pourrait s'appliquer aux opérateurs de médias sociaux et aux plateformes de service qui manqueraient à leurs obligations sous la loi. Le montant maximal de la sanction pour une violation correspondrait au montant le plus élevé entre celui égal à six pour cent des revenus bruts globaux du prétendu auteur de la violation et dix millions de dollars24.  Les critères pris en compte dans l'attribution de la sanction seraient notamment la nature et la portée de la violation, les antécédents du prétendu auteur de la violation en ce qui a trait au respect de la présente loi, tout avantage qu'il aurait retiré de la commission de la violation, sa capacité de payer la sanction et l'effet probable du paiement de celle-ci sur sa capacité à exercer ses activités et le but visé par la sanction25.

D'autres sanctions relatives aux infractions de crimes haineux sont aussi prévues dans le Code criminel26.

Ce qu'il faut retenir

Le Projet de loi C-6327 présente plusieurs modifications aux obligations des opérateurs de médiaux sociaux et des services de diffusion directs de contenu au Canada quant à la surveillance des préjudices en ligne. Non seulement les entreprises visées auraient à prendre des mesures pour protéger leurs usagers et limiter l'accès de ces derniers aux différents types de contenu préjudiciable, mais elles devraient faire rapport de leurs constats à la Commission.

Puisque le Projet de loi est à l'étape de sa première lecture, il risque de subir plusieurs amendements et modifications avant d'être adopté. Il demeure, toutefois clair, selon les communiqués du Gouvernement du Canada, que les exigences en lien avec la sécurité en ligne et la responsabilité imposée aux opérateurs seront considérablement élevées dans le futur, obligeant plusieurs entreprises à changer leur processus d'affaires.

Nous continuerons à suivre l'évolution du Projet de loi et à vous tenir au courant des points importants. Nous demeurons disponibles pour vous aider et vous conseiller sur la façon de penser à la mise en Suvre des changements nécessaires au sein de votre entreprise afin d'assurer la conformité aux exigences canadiennes en matière de sécurité en ligne.  

Footnotes

1. Gouvernement du Canada, Communiqué de presse, «Le gouvernement du Canada dépose un projet de loi pour lutter contre le contenu préjudiciable en ligne, y compris l'exploitation sexuelle des enfants» (26 février 2024), en ligne : ( https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/nouvelles/2024/02/le-gouvernement-du-canada-depose-un-projet-de-loi-pour-lutter-contre-le-contenu-prejudiciable-en-ligne-y-compris-lexploitation-sexuelle-des-enfants.html )

2. PL C-63, Loi édictant la Loi sur les préjudices en ligne, 1ère session, 44ième lég, 2024, (première lecture le 26 février 2024).

3. Lehouillier-Dumas c. Facebook Inc., 2021 QCCS 3524

4. Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information, RLRQ, c C-1.1 (« LCJTI »), art. 27.

5. LCJTI, art. 22

6. LCTI, art. 22, alinéa 2

7. Gouvernement du Canada, Document d'information, «Document d'information – Le gouvernement du Canada dépose un projet de loi pour lutter contre le contenu préjudiciable en ligne, y compris l'exploitation sexuelle des enfants » (26 février 2024), en ligne : ( https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/nouvelles/2024/02/document-dinformation--le-gouvernement-du-canada-depose-un-projet-de-loi-pour-lutter-contre-le-contenu-prejudiciable-en-ligne-y-compris-lexploitati.html )

8. Supra, note 2, art. 54 et 55.

9. Supra, note 2, art. 58.

10. Supra, note 2, art. 61.

11. Supra, note 2, art. 60.

12. Supra, note 2, art. 62.

13. Supra, note 2, art. 63.

14. Supra, note 2, art. 64.

15. Supra, note 2, art. 65.

16. Supra, note 2, art. 66.

 Supra, note 4.

17. Supra, note 2, art. 67.

18. Supra, note 2, art. 68

19. Supra, note 2, art. 10-11.

Supra, note 4.

20. Supra, note 2, art. 29-31.

21. Supra, note 2, partie 2.

Supra, note 4.

22.Supra, note 2, partie 3.

Supra, note 4.

23. Supra, note 4.

24. Supra, note 2, art. 101.

25. Supra, note art. 102.

26. Supra, note 4.

27. Supra, note 2.

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