Le 28 mars 2014, le gouvernement canadien a proposé dans le projet de Loi C-31, intitulé Loi no 1 sur le plan d'action économique de 2014, les changements à la Loi sur les marques de commerce les plus importants depuis 1953. C-31 est un projet de loi omnibus de plus de 375 pages qui, si adopté, amenderait également plus de 60 autres lois aucunement reliées.

La dernière fois que le droit canadien sur les marques de commerce a été modifié de façon importante, le gouvernement avait créé la Commission de révision de la loi sur les marques de commerce, un groupe de discussion composé d'experts, qui reçut des présentations du public et étudia les changements proposés à la loi pendant cinq années. Leur rapport exhaustif constitua la base de l'actuelle Loi sur les marques de commerce, laquelle a ensuite résisté à l'épreuve du temps. Par contraste, le gouvernement actuel n'a entrepris qu'une courte consultation publique avant que le projet de loi C-31 ne soit rendu public, malgré qu'il propose des changements d'une portée davantage considérable que ceux proposés par la Commission de révision de la loi sur les marques de commerce.

Si la loi entre en vigueur telle que proposée, des milliers d'entreprises canadiennes en seront vraisemblablement négativement affectées, particulièrement les petites et moyennes entreprises. Par exemple, en proposant que les enregistrements puissent être émis en l'absence de toute utilisation de la marque – au Canada ou ailleurs –, le gouvernement pourrait ainsi inciter une contestation constitutionnelle de la loi résultante. C'est une chose que d'avoir un système national d'enregistrement de marques de commerce fondé sur l'emploi de la marque, c'en est une autre de permettre la défense de droits de marques de commerce partout au Canada indépendamment du fait que la marque de commerce ait été antérieurement utilisée au Canada ou ailleurs. C'est pourtant précisément ce que les changements proposés prévoient.

Bien que les changements soient prétendument dans le but de préparer l'accession du Canada au sein du Protocole de Madrid, de l'Arrangement de Nice et du Traité de Singapour sur les marques, des éléments clés de la section qui traite des marques de commerce dans C-31 ont peu ou rien à voir avec ces traités, mais semblent plutôt être conçus pour des fins d'efficacité gouvernementale interne. L'amélioration de l'efficacité au sein de l'appareil gouvernemental constitue sans aucun doute un objectif louable, mais les gains d'efficacité qu'on prétend réaliser seront rapidement effacés par des dépenses additionnelles et par l'incertitude que subiront les entreprises canadiennes et les utilisateurs du système de marques de commerce canadien.

Ces changements à la Loi sur les marques de commerce ne sont pas les seuls présentement proposés. L'an passé, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-8, la Loi visant à combattre la contrefaçon de produits, qui traite de la création d'une « demande d'aide » pour faire face aux contrefacteurs, et propose, en sus, des mises à jour de certains aspects de la Loi sur les marques de commerce. Le projet de loi C-31 reprend plusieurs des changements non-reliés à la contrefaçon de produits proposés dans le projet de loi C-8, mais en ajoute plusieurs autres, de grande importance, aux lois et aux pratiques traitant de marques de commerce.  

Parmi les changements proposés par le projet de loi C-31 : 

  • Tout requérant, national ou étranger, peut enregistrer une marque de commerce au Canada sans avoir à l'utiliser, au Canada ou ailleurs, avant d'obtenir l'enregistrement. Les requérants n'auront plus à indiquer un fondement d'enregistrement au moment du dépôt de la demande, tel que l'emploi au Canada, l'emploi projeté au Canada, ou l'utilisation et l'enregistrement étranger. Au lieu, le requérant pourra produire une demande s'il utilise, ou s'il projette d'utiliser, et s'il a droit d'utiliser la marque au Canada en liaison avec les produits et services spécifiés. Aucune date de premier emploi ne sera requise.
  • Le test pour savoir qui a droit à un enregistrement sera, toutefois, toujours fondé sur une comparaison des dates de dépôt ou d'emploi (lesquelles, tel que noté ci-dessus, n'auront plus à être indiquées) avec des marques ou des noms commerciaux précédemment utilisés, ou faisant l'objet de demandes d'enregistrement antérieures.  
  • Le droit à l'enregistrement pourra seulement être affecté par des demandes pendantes à la date de l'annonce de la demande, ou par des marques de commerce ou noms commerciaux précédemment utilisés ou révélés qui étaient toujours
  • Une date de dépôt de la demande sera octroyée sur réception d'une « indication » que l'enregistrement est recherché, avec des renseignements permettant d'identifier le requérant et de communiquer avec lui, une représentation ou une description de la marque, et une liste des produits et services, avec les taxes de dépôt. La classification de Nice, tout standard pour une marque de certification, la description de la marque prévue par règlement et toute autre information peuvent être produits plus tard. Il ne semble pas que le requérant doive explicitement énoncer qu'il a utilisé ou a l'intention d'utiliser la marque, ou qu'il est convaincu d'avoir le droit d'utiliser la marque.
  • La classification de Nice est importée dans la Loi, et les requérants devront décrire les produits et services tant dans les termes ordinaires du commerce, tel que présentement requis, et les regrouper selon la classification de Nice, en identifiant la classe. Les titulaires existants pourront être requis de fournir la classification de Nice pour leurs produits/services, à défaut de quoi leur enregistrement pourrait être radié. L'implémentation de la classification de Nice impliquera certainement des coûts additionnels – les taxes de dépôt du gouvernement canadien sont présentement 250 $, et des coûts additionnels par classe seront sûrement à prévoir –, et davantage de temps devra être investi dans la détermination de la classification, tant par les entreprises canadiennes que par le Bureau des marques de commerce étant donné qu'ils ne sont pas familiers avec ce système. 
  • Les demandes pourront être opposées, par exemple, sur la base de l'emploi antérieur d'une autre marque au Canada, mais un opposant potentiel ne pourra déterminer à partir des renseignements disponibles sur le Registre si l'emploi de sa marque est antérieur. Il devra donc se rabattre sur des enquêtes potentiellement dispendieuses pour déterminer les dates de début d'emploi pertinentes. Il pourra également devoir entamer des procédures d'opposition sans cette information. En Europe, on y retrouve beaucoup plus d'oppositions de marques de commerce, en proportion des demandes produites, qu'au Canada ou aux États-Unis, et ce scenario risque de se répéter au Canada si les changements proposés sont adoptés, ajoutant ainsi des coûts additionnels importants pour les entreprises canadiennes, avec des coûts additionnels correspondants pour le gouvernement pour le traitement et la résolution de ces oppositions.
  • Deux nouveaux motifs d'opposition sont ajoutés : l'un fondé sur le fait que le requérant n'utilisait pas ou n'avait pas l'intention d'utiliser sa marque au moment du dépôt de la demande, et l'autre fondé sur le fait que le requérant n'avait pas le droit d'utiliser sa marque au moment du dépôt. Puisqu'il existe déjà un fondement d'opposition fondé sur le fait que « le requérant n'est pas la personne qui a droit à l'enregistrement », ce n'est pas clair à quoi va s'appliquer ce second fondement.
  • Aucune preuve d'utilisation ne sera requise sauf si l'enregistrement est contesté pour défaut d'emploi. 
  • Les enregistrements pourront être émis en liaison avec une très longue liste de produits et services fondés seulement sur l'intention indiquée d'utiliser la marque au Canada. Ce changement risque d'encombrer le Registre et de rendre les recherches de disponibilités plus difficiles et coûteuses.
  • Les enregistrements demeureront sujets à des attaques pour non-emploi au Canada après trois années de leur date d'enregistrement; toutefois, de telles procédures peuvent être longues et couteuses, et accroître l'incertitude lors des recherches de disponibilité. 
  • Les renouvellements devront se faire aux 10 ans plutôt qu'après 15 ans, et aucune preuve d'emploi ne sera requise pour le renouvellement. 

L'implémentation du Protocole de Madrid ne requiert aucun changement au niveau des lois nationales de marques de commerce. La proposition actuelle du gouvernement canadien d'éliminer les bases de dépôt et de permettre l'enregistrement sans quelque utilisation créera certainement des problèmes – et à tout le moins de l'incertitude liée au changement. Les recherches préalables à la sélection et à l'emploi de nouvelles marques exigeront des enquêtes de marché pour déterminer quand, ou si, l'utilisation d'une marque de commerce enregistrée a commencé. De même, le manque d'information utile sur le Registre quant à l'emploi forcera des investigations coûteuses avant de pouvoir conseiller sur les chances de succès des oppositions ou des litiges. Les coûts tant des analyses de disponibilité que de risques croitront vraisemblablement. En outre, le choix d'une nouvelle marque de commerce sera plus difficile avec l'ajout sur le Registre de davantage de demandes de marque fondées sur une « intention » d'emploi. Bien que ces enregistrements puissent éventuellement devenir vulnérables à se faire radier pour défaut d'emploi, le fardeau de supprimer ces marques reposera sur les requérants potentiels et les utilisateurs, et non sur leurs titulaires. 

Les entreprises doivent bien saisir ces changements proposés, et bien évaluer leur impact sur les plans de commodité, de coûts et d'utilité.   

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