À mesure que le coronavirus se propage dans le monde entier, la planification successorale préoccupe de nombreux Canadiens. En raison de la pandémie, les gouvernements fédéral et provinciaux de même que les administrations municipales de partout au Canada ont recommandé, et à certains endroits ont exigé, que les Canadiens s'isolent ou se mettent en quarantaine pour empêcher la propagation du virus.

Les achats, les conférences et les réunions se déroulent maintenant en ligne, et les transactions et les accords commerciaux sont souvent signés numériquement. Par conséquent, beaucoup se questionnent maintenant sur la possibilité de recourir à la technologie pour signer ou agir comme témoin en matière de testaments ou de procurations. Pour les Canadiens, les signatures virtuelles ou électroniques n'ont jamais été reconnues légalement pour ce qui est des documents de planification successorale.

Récemment, le Québec et l'Ontario ont tous deux instauré des règles d'urgence qui permettent le témoignage virtuel en matière de testaments et de procurations dans certaines circonstances. À la date de la présente publication, la Colombie-Britannique et l'Alberta n'ont pas introduit de législation d'urgence similaire. Peu importe la province, il faut veiller soigneusement à ce que tous les documents de planification successorale passés soient valables et conformes à la loi provinciale.

Ontario

En Ontario, la passation de testaments et de procurations est assujettie depuis longtemps à des exigences strictes, qui ont été modifiées récemment (voir la mise à jour ci-après). Sous réserve de certaines exceptions applicables aux membres en activité de service des Forces canadiennes ou d'une autre force de marine, de terre ou de l'air et aux marins, la Loi portant réforme du droit des successions, L.R.O. 1990 (LPRDS), de l'Ontario précise qu'un testament n'est valable que si les conditions suivantes sont réunies :

  • le testateur (c.-à-d. la personne qui signe le testament) signe le testament (ou, s'il en est incapable, le fait signer par une autre personne selon ses instructions);
  • au moins deux témoins sont présents en même temps au moment de l'apposition de la signature;
  • les deux témoins souscrivent le testament « en présence du testateur ».

Selon la législation de l'Ontario, le tribunal ne peut valider un testament qui ne répond pas à ces exigences.

La seule exception quant à la passation formelle applicable à la plupart des Ontariens est le « testament olographe », défini comme un testament qui est « entièrement » rédigé de la main du testateur et signé par lui, et ne requiert aucun témoin.

De même, la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d'autrui, L.O. 1992 (LPDNA), de l'Ontario précise que la procuration perpétuelle relative aux biens et la procuration relative au soin de la personne doivent être passées « en présence de deux témoins ». Contrairement au cas des testaments, le tribunal peut déclarer que la procuration non conforme a plein effet « s'il est convaincu que cela est dans l'intérêt du mandant ou des personnes à sa charge ».

Les mots « signer » et « signature » ne sont définis ni dans la LPRDS ni dans la LPDNA. Cependant, la Loi de 2000 sur le commerce électronique, L.O. 2000 (LCE), de l'Ontario, qui permet la signature électronique de nombreux documents commerciaux dans la province, exclut expressément les testaments, les codicilles et les procurations relatives aux biens et au soin de la personne. Il en ressort clairement qu'une signature électronique ne serait pas valable pour ces documents.

Décret d'urgence

Le 7 avril 2020, en consultation avec des membres de la profession juridique, le gouvernement de l'Ontario a annoncé qu'il avait pris un décret d'urgence en vertu de la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d'urgence. Aux termes du décret, pendant la durée de la déclaration de situation d'urgence en Ontario, l'exigence selon laquelle un testateur ou des témoins doivent être présents pour signer un testament ou une procuration peut être satisfaite au moyen d'une « technologie de communication audiovisuelle ». Toutefois, l'un des témoins doit être un avocat titulaire de permis dans la province. La technologie doit permettre aux participants « de voir, d'entendre et de communiquer » entre eux en « temps réel ».

Les conséquences du décret restent à voir. Il s'agit d'une modification importante et sans précédent des règles sur la passation des documents de planification successorale. La porte étant maintenant ouverte à la signature et au témoignage à distance, il faudra apporter un soin supplémentaire afin d'assurer que tous les documents passés sont valables et non susceptibles de contestation judiciaire, peut-être longtemps après la fin de la situation d'urgence.

Alberta

Comme en Ontario, la Wills and Succession Act, SA 2010, c. W-12.2 (WSA), de l'Alberta énonce les conditions de validité du testament, sous réserve de certaines exceptions limitées, par exemple les testaments militaires des membres en activité de service des Forces canadiennes :

  • le testateur doit signer le testament (ou faire signer une autre personne en son nom à lui et en sa présence);
  • le testateur doit apposer ou reconnaître sa signature en présence de deux témoins qui sont présents en même temps;
  • chaque témoin doit signer le testament en présence du testateur.

La WSA reconnaît aussi le testament olographe (comme en Ontario, un document testamentaire entièrement rédigé de la main du testateur et signé par lui), sans la présence ou la signature d'un témoin ni autre formalité.

Contrairement à l'Ontario, l'Alberta permet dans sa législation un certain assouplissement des exigences strictes ayant trait à la validité quant à la forme. Le tribunal peut valider un testament qui ne répond pas aux exigences de formalité s'il est convaincu, en se fondant sur des éléments de preuve clairs et convaincants, que le document énonce les intentions testamentaires du testateur et devait être, selon l'intention de ce dernier, son testament. Bien que l'incidence de la pandémie de coronavirus sur la rédaction et la validité des testaments reste à voir, les pouvoirs de dispense et de rectification énoncés aux articles 37 à 39 de la WSA pourraient, en théorie, être mis en Suvre pour corriger les irrégularités de signature, particulièrement à la lumière des décrets et des directives de santé publique de tous les ordres de gouvernement visant l'isolement ou le maintien de la distanciation sociale.

Aux termes de la Powers of Attorney Act, RSA 2000, c. P-20, et de la Personal Directives Act, RSA 2000, c. P-6, les deux documents doivent être signés et datés à la fois par le mandant et un témoin en présence l'un de l'autre. Il n'existe aucune exception à ces formalités pour une procuration perpétuelle ou une directive personnelle.

Très semblablement à la législation applicable en Ontario, l'Electronic Transactions Act, SA 2001, c. E-5.5, de l'Alberta, qui permet le recours aux signatures électroniques pour la passation de plusieurs types de documents, exclut expressément les testaments, les codicilles, les procurations perpétuelles et les directives personnelles.

Colombie-Britannique

La Wills, Estates and Succession Act, SBC 2009, c. 13 (WESA), comme en Ontario et en Alberta, précise que le testament, pour être valable, doit réunir les conditions suivantes :

  • il doit être fait par écrit;
  • il doit être signé à la fin par le testateur (ou ce dernier doit reconnaître la signature à la fin comme étant la sienne, en présence d'au moins deux témoins présents en même temps);
  • il doit être signé par au moins deux témoins en présence du testateur.

De même, la Power of Attorney Act, RSBC 1996, c. 370 (POAA), exige qu'une procuration perpétuelle soit faite par écrit et signée et datée en présence de deux témoins (ou d'un seul témoin, s'il s'agit d'un avocat ou d'un membre en règle de la Society of Notaries Public of British Columbia).

Ni la WESA ni la POAA ne prévoient la signature électronique des testaments ou des procurations perpétuelles. Comme en Ontario et en Alberta, l'Electronic Transactions Act, SBC 2001, c. 10, régit l'utilisation de documents électroniques, mais exclut expressément de son champ d'application les testaments et les procurations (dans la mesure où celles-ci visent les affaires financières d'un particulier ou le soin de sa personne).

Contrairement à d'autres provinces, le droit britanno-colombien ne prévoit pas l'utilisation de testaments olographes.

Néanmoins, comme en Alberta, le testament qui serait par ailleurs nul aux termes de la WESA peut être réputé valable. Premièrement, le testament peut être déclaré valable par voie d'ordonnance judiciaire en vertu de la WESA si le tribunal détermine que le testament par ailleurs nul représente les intentions testamentaires du défunt, et que les circonstances l'exigent. Deuxièmement, le testament peut être valable s'il est fait conformément aux lois d'un autre territoire dans certains cas; par exemple, il est valable s'il est conforme à la loi du lieu où il est fait.

p>Lorsqu'il est projeté de passer un testament, ainsi que des documents de succession connexes, d'une manière par ailleurs « non conforme », par exemple au moyen d'une signature électronique, il faut garder à l'esprit la nécessité éventuelle de convaincre un tribunal que le document représente les intentions testamentaires fixes et définitives du testateur.

Québec

Le Code civil du Québec ne permet que trois façons de tester :

  • par testament notarié (passé devant un notaire du Québec, en présence d'un témoin);
  • par testament olographe (entièrement rédigé à la main et signé);
  • par testament fait en présence de deux témoins (pouvant être préparé par un avocat).

Les témoins agissant à l'égard du testament notarié ou du testament fait en présence de deux témoins doivent être majeurs et ne doivent pas bénéficier du testament. Les témoins doivent signer le testament après que le testateur a signé et confirmer que le testament et la signature sont ceux du testateur.

Cela exige généralement que toutes les parties soient physiquement ensemble.

Le testament olographe demeure la façon la plus simple de tester et n'exige pas la présence d'un tiers; toutefois, il ne s'agit pas du type de testament le plus fiable, car il peut être perdu, détruit ou endommagé et peut soulever des problèmes d'interprétation. De plus, comme le testament fait en présence de deux témoins, il doit être vérifié une fois le testateur décédé, ce qui peut retarder le règlent de la succession.

Le 27 mars 2020, la ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec a pris l'arrêté 2020-010 en application de la Loi sur la santé publique du Québec, lequel autorise les notaires du Québec à clore à distance des actes notariés en minute, y compris les testaments notariés, sur un support technologique. Ils doivent respecter des critères stricts et précis, notamment les suivants :

  • le notaire instrumentant doit pouvoir voir et entendre le testateur et le témoin;
  • le testateur et le témoin doivent pouvoir voir et entendre le notaire instrumentant et se voir et s'entendre l'un l'autre;
  • le testateur, le témoin et le notaire instrumentant doivent pouvoir voir le testament;
  • le testateur et le témoin, autre que le notaire, doivent apposer leur signature par un moyen technologique permettant de les identifier et de constater leur consentement;
  • le notaire doit apposer sa signature officielle numérique.

Au Québec et dans le milieu notarial, ces mesures sont sans précédent, et, à ce titre, le conseil d'administration de l'Ordre des notaires du Québec a établi des lignes directrices strictes sur l'utilisation de moyens technologiques pour passer des actes notariés, conformément à l'article 98 de la Loi sur le notariat (c. N-3). Ces mesures sont entrées en vigueur le 1er avril 2020. Les notaires du Québec peuvent maintenant passer des testaments et d'autres actes notariés, comme des procurations et des mandats de protection (testaments biologiques).

Conclusion

Tant les profanes que les praticiens discutent depuis des années de la question de savoir si la signature numérique des testaments devrait être acceptable juridiquement. La question est devenue beaucoup plus urgente ces dernières semaines. Pour les Canadiens, en particulier ceux qui sont vulnérables sur le plan médical ou qui s'isolent, l'impossibilité de rencontrer des témoins peut faire obstacle à la capacité d'entreprendre une planification testamentaire.

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