Le 3 décembre 2014, la ministre de la Justice et Procureure générale du Québec, Mme Stéphanie Vallée, et le ministre responsable de l'Administration gouvernementale et de la Révision des programmes et président du Conseil du trésor, M. Martin Coiteux ont déposé le projet de loi no 261 (le « Projet de loi no 26 ») qui donnera, s'il est adopté, aux organismes publics les moyens d'aller récupérer efficacement les sommes qu'ils ont versées en trop dans les contrats publics.

Les objectifs du Projet de loi no 26 sont de:

  1. permettre aux entreprises ou aux personnes exploitant une entreprise individuelle ayant commis une fraude ou pris part à des démarches dolosives dans le cadre de tout contrat public et qui font preuve de bonne foi, de se réhabiliter en remboursant les sommes perçues en trop de l'organisme public ;
  2. rendre publiques les modalités de toute proposition acceptée par la ministre de la Justice ;
  3. faciliter pour les organismes publics, le cas échéant, les recours nécessaires à la récupération des sommes qui lui sont dues ;
  4. prévoir la mise sur pied d'un fonds affecté au financement des activités liées à la récupération des fonds.

Un projet de loi qui ratisse large

Le Projet de loi no 26 vise les manSuvres dolosives dans le cadre de l'adjudication, de l'attribution ou de la gestion d'un contrat public et créé une présomption de préjudice causé à l'organisme concerné.2 Il ne se limite pas à la responsabilité de l'entreprise : tant les dirigeants que les administrateurs de l'entreprise fautive sont visés. En effet, la responsabilité de ses dirigeants en fonction sera engagée au moment de la fraude ou de la manSuvre dolosive, à moins qu'ils ne démontrent avoir agi avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente. Il en est de même pour ses administrateurs, s'il est établi qu'ils savaient ou auraient dû savoir qu'une fraude ou une manSuvre dolosive a été commise relativement au contrat visé. Le législateur ajoute que les responsables du préjudice sont solidairement responsables, à moins que l'organisme public y renonce.3

Le programme de remboursement volontaire est le mode de fonctionnement privilégié

Précisons, tout d'abord, que le gouvernement entend prêcher par l'exemple en mettant de l'avant comme dans le nouveau Code de procédure civile, un mode alternatif de résolution des conflits en matière civile qui ressemblera dans une certaine mesure aux conférences de règlement à l'amiable, sans nécessiter, toutefois, d'intenter des procédures judiciaires avant de s'en prévaloir. Il s'agit d'un programme de remboursement volontaire à durée déterminée afin qu'une entreprise ou personne physique puisse rembourser certaines sommes qu'elle s'est appropriée illégalement.4 L'administrateur désigné par le gouvernement aura pour rôle d'amener les intéressés à s'entendre.

Par ailleurs, à moins que les parties n'y consentent, rien de ce qui a été dit ou écrit dans le cadre de l'application du programme n'est recevable en preuve devant un tribunal judiciaire ou administratif. L'administrateur ne peut être contraint de divulguer ce qui lui a été révélé ou ce dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, ni de produire un document confectionné ou obtenu dans cet exercice. Le législateur ferme la porte à toutes demandes d'accès à l'information pour inciter les parties à participer au processus.

Il est important de souligner que ce processus est purement civil et ne se substituera pas aux poursuites de nature pénale ou criminelle.

Les principales caractéristiques de ce programme sont les suivantes:

  • Les entreprises ou les personnes ont 12 mois pour se prévaloir du programme de remboursement et faire une offre de règlement.
  • Les organismes publics et les entreprises peuvent négocier de bonne foi un règlement satisfaisant, avec l'assistance d'une personne neutre et impartiale, sans qu'une poursuite devant les tribunaux ne soit intentée évitant ainsi les délais associés au processus judiciaire.
  • Les propositions sont analysées par cette personne neutre assistée de juricomptables qui formulera des recommandations à la ministre de la Justice.
  • Dans le cadre du programme de remboursement, les entreprises ou les personnes qui s'en prévalent devront verser des frais supplémentaires correspondant à 10 % de la somme à rembourser, afin que les contribuables n'aient pas à assumer les coûts liés à la gestion du programme de remboursement.
  • Si une entente intervient, une déclaration contenant le nom de l'entreprise, le nom des organismes publics visés ainsi que le montant versé sera rendue publique.
  • Les sommes éventuellement récupérées seront redistribuées aux ministères et aux organismes en fonction des dommages subis.

Les recours judiciaires envisagés en cas d'absence d'entente en vertu du programme

Des règles exceptionnelles sont mise en place pour les recours judiciaires. Ce sont les suivantes: 

  • Un arsenal puissant est mis à la disposition des organismes publics afin qu'ils puissent intenter des recours contre les entreprises fautives pour une période de cinq ans. 
  • Les réclamations judiciaires permettront de réclamer des sommes payées en trop jusqu'à 20 ans précédant l'entrée en vigueur des dispositions portant sur les recours.5 Cette période concorde avec celle qui fait l'objet des travaux de la commission Charbonneau.
  • Le préjudice est présumé correspondre à la somme réclamée par l'organisme public concerné pour le contrat visé lorsque cette somme réclamée ne représente pas plus de 15 % du montant total payé pour le contrat visé.6
  • L'organisme public peut réclamer plus de 15 % des sommes payées. Toutefois, pour les sommes qui excèderaient 15 %, il doit le faire selon les règles usuelles de la preuve.
  • L'entreprise qui prétend que les dommages subis par le gouvernement ou l'organisme public sont inférieurs aux dommages présumés devra également en faire la preuve.7
  • Si une entreprise est condamnée par la cour, une somme supplémentaire correspondant à 20 % de la condamnation sera versée à l'organisme public, à titre de remboursement des frais engagés par le recours. Cette mesure a pour but de faire assumer aux parties fautives, et non aux contribuables, les coûts engendrés pour l'application du Projet de loi no 26.8
  • La créance de l'organisme public pour les sommes réclamées dans le cadre d'une action lui confère une hypothèque légale qui peut, sur autorisation, être inscrite sur les biens de toute entreprise ou de toute personne physique visée par la loi. Ce pouvoir s'apparente à une saisie avant jugement puisqu'en cas d'urgence, cette demande d'autorisation peut être présentée, sans avis à la partie adverse.9

Des modifications importantes à la Loi sur les contrats des organismes publics

Le Projet de loi no 26 prévoit des modifications envisagées à la Loi sur les contrats des organismes publics10 qui traite du régime d'autorisation de contracter avec les organismes publics.

Le Projet de loi no 26 donne l'avantage à toute entreprise fautive de se réformer et de mettre en place le plus haut standard d'intégrité pour continuer de travailler avec le gouvernement. Selon le Projet de loi no 26, un contractant inscrit au registre des entreprises non admissibles aux contrats publics pourrait présenter une demande à l'Autorité des marchés financiers pour obtenir le retrait de son inscription à ce registre suite à une entente conformément au programme. Ainsi, une entreprise qui a apporté des changements significatifs depuis le jour de l'infraction pour laquelle elle a été condamnée pourrait obtenir une autorisation si elle satisfait aux exigences élevées d'intégrité au moment de sa demande, malgré les gestes posés antérieurement.

Conclusion

Le Projet de loi no 26 s'inscrit clairement dans l'ensemble des mesures mises en place par le gouvernement pour rendre plus accessible et efficace le système judiciaire, sans pour autant l'encombrer. Par ailleurs, il s'inscrit dans la même philosophie que le programme de clémence mise de l'avant du côté pénal par le Bureau de la concurrence. Le programme de clémence permet à des entreprises de minimiser l'impact pénal en reconnaissant leur participation à des gestes illégaux visés par la Loi sur la concurrence,11 pourvu que ceux-ci font preuve de coopération et d'aveux précoces quant à leur rôle dans une infraction en matière de cartel. Le demandeur de clémence doit démontrer qu'il a mis en place les contrôles nécessaires pour éviter la répétition des gestes inacceptables.

Le Projet de loi no 26 est d'autant plus ambitieux qu'il s'attaque à tous les contrats publics et ne se limite pas au domaine de la construction. Il faudra suivre le cheminement de ce projet de loi puisque, s'il est adopté, il pourrait constituer pour les entreprises, ses dirigeants et administrateurs ayant participé à des activités frauduleuses dans le cadre d'octroi de contrats avec un organisme gouvernemental, un risque supplémentaire d'affaires ou encore, une opportunité de se réhabiliter.

Footnotes

1. Projet de loi n° 26 : Loi visant principalement la récupération de sommes obtenues à la suite de fraudes ou de manSuvres dolosives dans le cadre de contrats publics, présenté à la 41e législature, 1re session, le 3 décembre 2014. Disponible au http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-26-41-1.html.

2. Voir l'article 10 du Projet de loi n° 26.

3. Voir l'article 10 du Projet de loi no 26.

4. Voir l'article 3 du Projet de loi no 26.

5. Voir l'article 16 du Projet de loi no 26.

6. Voir l'article 11 du Projet de loi no 26.

7. Voir l'article 11 du Projet de loi no 26.

8. Voir l'article 14 du Projet de loi no 26.

9. Voir l'article 13 du Projet de loi no 26.

10. Loi sur les contrats des organismes publics (Chapitre C-65.1) disponible au lien suivant : http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/C_65_1/C65_1.html.

11. Loi sur la concurrence (L.R.C. (1985), ch. C-34), disponible au lien suivant : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-34/.

The foregoing provides only an overview and does not constitute legal advice. Readers are cautioned against making any decisions based on this material alone. Rather, specific legal advice should be obtained.