À quelques jours d'intervalle, Facebook et Google, deux géants incontestables de l'Internet, ont essuyé deux revers quasi sans précédent devant la Cour suprême du Canada.

Outre la Cour de Justice européenne qui avait déjà, en 2014, confirmé l'application du droit de la protection des données (droit à l'oubli), il s'agit là des premiers jugements qui ont un réel potentiel d'influencer le droit international en matière de commerce électronique et de protection de la vie privée.

Douez c. Facebook, Inc.

Le plus haut tribunal du pays se penchait sur la validité d'une clause d'établissement de juridiction qui attribue une compétence exclusive aux tribunaux californiens pour toute action impliquant Facebook. Selon la cour, rien n'empêche la société californienne de rédiger une telle clause mais sa validité n'est pas absolue et un test secondaire doit être mené afin de s'assurer de son applicabilité.

Pour ce faire, la Cour suprême analysa de façon exhaustive s'il existait des motifs sérieux qui soutenaient la thèse de l'inapplicabilité de la clause dans le cadre d'une action collective intentée contre la multinationale et conclut que de tels motifs existaient en l'espèce. Elle fonde son raisonnement sur l'inégalité flagrante du pouvoir de négociation entre Facebook et l'utilisateur et sur les coûts exorbitants inhérents au dépôt d'une action en Californie pour un résident canadien.

Quatre magistrats contre trois concluent que, d'une part, lorsqu'une action collective est intentée en sol canadien et que son fondement repose sur une loi quasi-constitutionnelle les tribunaux de la province d'où émane l'action sont les plus compétents pour identifier l'intention et l'objet de la loi en litige. D'autre part, les inconvénients occasionnés aux citoyens canadiens devant faire valoir leurs droits devant les tribunaux californiens sont clairement disproportionnés comparés à ceux subis par Facebook.

Google Inc. c. Equustek Solutions Inc.

Dans cette deuxième affaire entendue et rendue en même temps, la Cour suprême devait établir si une injonction interlocutoire intimant à Google de cesser le référencement de certains sites faisant la vente illégale de produits découlant du vol de propriété intellectuelle, pouvait avoir une portée mondiale, c'est-à-dire s'appliquer sur l'intégralité des pages de Google, et pas seulement les pages canadiennes.

Selon la société Equustek, il s'agissait effectivement du seul moyen possible de freiner la vente de ses produits par la société contrefactrice. Elle prétendait également que le déréférencement préalable qu'avait effectué Google sur sa plateforme canadienne n'était pas suffisant puisque les internautes pouvaient tout de même accéder à l'information en litige par le biais des autres noms de domaines de Google, et ce, même en sol canadien.

Dans cet arrêt, le plus haut tribunal du pays a réitéré plusieurs notions élémentaires concernant les ordonnances d'injonctions interlocutoires. Notamment, elle rappelle qu'il s'agit de décisions en equity qui ont pour but de faire cesser un préjudice autrement irréparable.

La Cour a également balayé tout doute qui pouvait subsister concernant la possibilité de décerner une injonction contre un tiers à l'action principale. En effet, elle confirme que dans toute situation où le tiers facilite le comportement préjudiciable– avec ou sans intention – il est possible qu'il fasse l'objet d'injonctions interlocutoires.

Dans son arrêt, la Cour suprême confirme aussi qu'il est possible d'étendre l'application d'une injonction au-delà des limites territoriales du Canada, si nécessaire.

Polémiques

Google prétend que la décision rendue par la Cour contrevient à la liberté d'expression et qu'elle ouvre la porte à la censure. Selon elle, certains gouvernements et entités commerciales étrangères pourraient se prévaloir de ce jugement dans le but de faire bannir des pages faisant la promotion d'idéologies contraires aux leurs.

Quant à l'inquiétude relative à la liberté d'expression, la Cour suprême affirme d'emblée que « jusqu'à maintenant, nous n'avons pas reconnu que la liberté d'expression exige qu'on facilite la vente illégale de biens ». Autrement dit, bien que la question de liberté d'expression se pose, elle semble théorique dans ce cas-ci puisque pour les juges canadiens rien, pour l'instant, ne laisse présager qu'un État va s'opposer à cette ordonnance visant à faire cesser un crime.

Quant à la deuxième inquiétude, soit celle par rapport à la censure, plusieurs pistes de réponses permettraient d'apaiser les craintes. Tout d'abord, le jugement visait à faire respecter un droit personnel. En effet, il s'agissait de s'assurer que la violation d'un droit dont une personne était victime cesse.

De plus, suivant l'avis qui a été rendu par la Cour de Justice européenne sur le droit à l'oubli, il a été possible de constater que Google est capable de limiter de façon ultra précise l'accès aux informations sensibles. Par l'intermédiaire de géolocalisateurs, la société est capable de faire du déréférencement uniquement sur les portions du globe qu'elle désire. Par exemple, Google peut permettre à un internaute Canadien d'avoir accès à certaines informations qui sont par ailleurs rendues inaccessibles pour un Français en raison de sa localisation géographique.

Par conséquent, comme le mentionne au passage la cour, rien n'empêcherait un pays voulant se soustraire à une injonction mondiale de s'adresser à ses tribunaux nationaux ou même directement à Google.

Priorité aux droits personnels

Bref, en dépit des questions de droit et des éléments factuels complétement différents, ces deux décisions convergent tout de même vers un principe commun non équivoque : l'équilibre entre les droits personnels des internautes et les volontés contractuelles des multinationales d'Internet. Réagissant à une société de plus en plus guidée par ces technologies et par les compagnies qui les développent, ces arrêts s'inscrivent dans un courant jurisprudentiel précurseur et novateur.

L'auteure aimerait remercier Vincent Savard, Stagiaire en Marketing, pour sa contribution

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