Les clauses restrictives peuvent être une façon efficace de protéger les intérêts commerciaux des employeurs. Toutefois, dans les faits, faire respecter ces clauses se révèle souvent un défi, car les tribunaux les examinent attentivement. Les clauses restrictives doivent être rédigées clairement et ne porter que sur les éléments nécessaires pour protéger les intérêts commerciaux légitimes, de l'employeur,  notamment au niveau géographique et temporel. Habituellement, les tribunaux n'hésitent pas à déceler des problèmes dans de telles clauses et à les déclarer non exécutoires. Or, dans deux décisions récentes, l'une provenant de l'Ontario et l'autre de l'Alberta, l'interprétation des clauses restrictives a été élargie pour donner gain de cause aux employeurs.

Ontario : 2158124 Ontario Inc. v Pitton 2017 ONSC 411  (PDF - disponible en anglais seulement) 

Dans la cause Pitton, une firme de courtage d'assurance s'est adressée à la Cour supérieure de l'Ontario pour obtenir une injonction contre son ancien employé, M. Pitton. Pour se faire, la Cour devait déterminer si M. Pitton avait contrevenu à sa clause de non-sollicitation lorsqu'il a commencé à travailler pour une autre firme de courtage d'assurance après avoir quitté son emploi chez StoneRidge.

L'employé avait soulevé deux arguments solides. Premièrement, il a soutenu que la clause intitulée « Non-sollicitation » était en fait une clause de non-concurrence. La dernière phrase de cette clause obligeait l'employé à payer à StoneRidge le double de sa commission annuelle pour chaque client qui le suivait vers son nouvel employeur, que le client ait été sollicité ou non. L'employé a fait valoir que cette phrase était une clause de non-concurrence déraisonnable, car elle ne comprenait aucune limite territoriale, et que, par conséquent, cette clause dans son ensemble était non exécutoire. Deuxièmement, l'employé a affirmé que cette clause était trop large, car elle ne comportait pas de définition du terme « client ». Il a soutenu que l'absence d'une telle définition ou de limites à cet égard l'empêchait de solliciter les clients provenant d'autres bureaux de StoneRidge dans lesquels il n'avait jamais travaillé.

La Cour a rejeté les deux arguments de l'employé. Dans un premier temps, elle a conclu que la clause de non-sollicitation n'était pas une clause de non-concurrence, et qu'elle n'empêchait pas M. Pitton de travailler dans l'industrie de l'assurance; cette clause n'ayant pour effet que de restreindre sa capacité de solliciter certains clients de StoneRidge. Ainsi, aucune limite territoriale n'était nécessaire. Deuxièmement, la Cour a décidé que l'absence d'une définition du terme « client » n'était pas un facteur important. Après avoir examiné le contrat et les circonstances en l'espèce, la Cour était convaincue que l'entente ne s'appliquait qu'aux clients des bureaux dans lequel l'employé avait travaillé.

Une injonction partielle a été accordée en faveur de l'employeur ne portant que sur l'utilisation des renseignements confidentiels et non sur la non-sollicitation.

Alberta : Jones v Gerosa 2016 ABQB 207 (PDF - disponible en anglais seulement)

Dans l'affaire Jones, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta s'est également penchée sur le caractère exécutoire des clauses restrictives. Les parties en cause dans cette affaire étaient un dentiste de Fort McMurray, le docteur Robert Jones, ainsi que deux de ses anciens associés, la docteure Mary Gerosa et le docteur Jack Phan. Avant de commencer à travailler avec le docteur Jones, la docteure Gerosa et le docteur Phan ont signé une entente selon laquelle ils étaient, essentiellement, des entrepreneurs autonomes. Selon une clause restrictive de l'entente, ces derniers devaient payer une somme de 90 000 $ au docteur Jones s'ils quittaient la pratique de ce dernier pour aller travailler dans une autre pratique situeé dans la même petite ville. Lorsque la docteure Gerosa et le docteur Phan ont quitté le cabinet pour établir leur propre pratique, le docteur Jones les a poursuivis pour récupérer le montant susmentionné.

Les deux associés ont fait valoir que la clause restrictive était non exécutoire, puisqu'aucune dureé n'était spécifiée et que le territoire prévu était trop grand (un rayon de 50 km de Fort McMurray). Dans sa réponse, le docteur Jones a soutenu que cette clause n'était pas une clause restrictive et, par conséquent, ces limites étaient sans importance.  

Se fondant en partie sur le témoignage d'un expert sur le risque de diminution d'achalandage que pourrait subir le docteur Jones dans ce contexte et sur les pratiques similaires dans d'autres industries, la Cour a rejeté les arguments des deux parties et a donné raison au docteur Jones en notant que cette clause n'interdisait pas la concurrence de façon absolue, mais constituait une limitation à la concurrence.

En ce qui a trait à la portée géographique et à la durée de la clause, la Cour a conclu que celles-ci étaient raisonnables. En particulier, la limite géographique de 50 km a été jugée raisonnable. Pour ce qui est de la dureé, la Cour a appliqué le principe de « l'interprétation raisonnable » et a conclu que l'absence de limite temporelle n'était pas fatale. Selon la Cour, la clause devrait s'appliquer « pendant une dureé raisonnable ». Puisque les deux associés ont établi leur propre pratique immédiatement après avoir quitté celle du docteur Jones, ils n'avaient clairement pas respecté une « dureé raisonnable ».

À retenir pour les employeurs

Sur le plan juridique, les décisions Pitton et Jones sont très prometteuses pour les employeurs. Dans le contexte des décisions antérieures obligeant les employeurs à rédiger de manière très pointue les clauses restrictives, ces deux décisions portent à croire que les tribunaux opteront dorénavant pour une approche plus souple.

Cela dit, il est important de noter que ces décisions sont relativement nouvelles; ce n'est donc qu'au fil du temps que nous verrons si elles représentent un réel changement ou si elles ne constituent que des exceptions. Entretemps, il est conseillé aux employeurs de rédiger les clauses restrictives le plus clairement possible et de restreindre la portée de ces clauses autant que possible afin d'accroître leur chance d'exécution. Des clauses restrictives bien rédigées aident les employeurs à éviter des écueils.

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