Une décision récente de la Cour supérieure vient confirmer le caractère limité des devoirs déontologiques des experts agissant dans un litige opposant une firme d'ingénieur responsable de la conception d'un projet immobilier au propriétaire du projet.

Bref rappel des faits en cause : L'entente entre le concepteur et le propriétaire prévoyait que les services de la firme Dessau devaient être retenus afin d'assurer la surveillance. L'entente entre les trois parties prévoyait une clause de confidentialité dans laquelle le surveillant s'engageait à traiter toute l'information reçue de façon confidentielle.

Lorsque des doutes sont survenus chez le propriétaire quant aux prévisions du concepteur sur la quantité d'acier nécessaire pour la réalisation du projet, celui-ci a engagé un expert de chez Dessau afin d'évaluer si ces prévisions étaient adéquates. À l'embauche, aucune notification n'a été faite qui aurait pu permettre à la firme Dessau de savoir qu'elle agissait à la fois comme expert du propriétaire et comme partie au projet. La preuve révèle qu'aucune mesure de confidentialité (un mur déontologique par exemple) ne séparait les deux équipes.

Ce n'est qu'en avril 2016, lorsque le propriétaire dévoile durant une audience devant la Cour que son expert sera un ingénieur de chez Dessau que le concepteur prend connaissance de la situation. Les avocats du concepteur demandent alors que soit désavoué l'expert de chez Dessau étant donné l'entente de confidentialité signée par le concepteur, le propriétaire et le surveillant.

La décision

Dans sa décision rendue séance tenante, le juge Donald Bisson rejette la demande du concepteur de désavouer l'expert.

Il faut d'abord noter que le concepteur n'a soulevé aucun argument quant à la partialité de l'expert de Dessau. Le concepteur a plutôt invoqué les manquements graves de l'expert prenant la forme d'un conflit d'intérêts et de l'accès à des informations confidentielles.

Se basant sur les arrêts de la Cour d'appel dans Ville de Saint-Eustache et Québec (PG) c. Marleau, le juge Bisson retient deux situations pouvant justifier une déclaration d'inhabilité de l'expert sur la base d'un bris d'une entente de confidentialité: l'utilisation par l'expert d'une information confidentielle ou l'impossibilité pour celui-ci de rendre une opinion sans utiliser cette information confidentielle. En l'espèce, le tribunal est d'avis que l'expert n'a utilisé aucune information visée par l'entente de confidentialité signée par Dessau. La preuve révèle d'ailleurs qu'en plus de ne pas avoir utilisé l'information, l'équipe de surveillance assignée par Dessau et celle de l'expert agissant pour le propriétaire étaient indépendantes l'une de l'autre et ne communiquaient pas entre elles.

Le juge Bisson ajoute que les obligations déontologiques imposées aux avocats dans l'arrêt Succession MacDonald c. Martin ne sont pas applicables de la même manière aux experts.

Commentaire

Cette décision soulève d'importantes questions quant aux devoirs déontologiques des experts, mais aussi quant à la rigueur dont doivent faire preuve les parties lors de la leur sélection.

D'abord, le refus par le juge et les demandeurs d'invoquer la partialité de l'expert comme motif de disqualification surprend. Plutôt que le standard de la crainte d'une personne raisonnable, c'est le tribunal qui évalue s'il croit que l'expert le sert avec objectivité et impartialité. L'analyse du juge Bisson semble donc faire écho à la démarche suivie dans la décision White Burgess afin de déterminer l'impartialité des experts dans laquelle le critère de l'apparence de parti pris a aussi été écartée au profit d'une analyse objective.

Ensuite, cette décision souligne les limites des clauses de confidentialité signées aux balbutiements d'un projet. Bien qu'elles puissent encore permettre à une partie de demander des dommages, elles ne mèneront pas automatiquement à la disqualification d'un expert agissant pour l'une des parties au contrat.

Le juge Bisson répète aussi qu'une telle décision sur la qualification d'un expert ne porte pas préjudice à la discrétion du juge de fond quant à l'évaluation de la valeur probante du témoignage de l'expert.

Cette décision vient toutefois préserver la flexibilité dont disposent les avocats dans la sélection de leurs experts en leur évitant de devoir naviguer la complexe toile de conflit d'intérêts imposé par leurs obligations professionnelles.

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