Les avancées technologiques au sein des marchés ont modifié la façon dont les produits et services sont offerts aux consommateurs. Le commerce électronique et les activités commerciales en ligne de propriétaires de marques de commerce occupent une place importante dans ce contexte et ont élargi ce que l'on entend par l'emploi d'une marque de commerce au Canada. Compte tenu que le Canada applique un régime de common law, cela a des conséquences directes pour les titulaires d'une marque de commerce cherchant à faire protéger ou respecter leur marque, et en particulier pour les propriétaires qui n'ont pas de présence commerciale au pays.

Bien que les changements attendus aux lois canadiennes sur les marques de commerce ne tiendront pas compte de la notion d'emploi comme fondement des demandes d'enregistrement de marques de commerce, l'emploi continuera de jouer un rôle important au moment de déterminer les propriétaires des droits associés à une marque de commerce au Canada. La Loi sur les marques de commerce (la « Loi ») du Canada définit l'« emploi », relativement aux produits, comme l'apposition d'une marque figurant sur les produits en tant que tels ou sur l'emballage, ou autrement associée aux produits en question au moment de la vente dans la pratique ordinaire du commerce. Une marque de commerce est employée en association avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services.

Il n'existe pas d'approche unique quant au traitement de la preuve liée à Internet. Ce qui constitue un emploi sur Internet dépend plutôt en grande partie du type d'industrie et est déterminé au cas par cas1. Au Canada, la Commission des oppositions des marques de commerce et les tribunaux ont appliqué les concepts fondamentaux suivants dans leur évaluation de la preuve liée à Internet :

  • Interaction : pour véritablement montrer l'emploi, la preuve liée à Internet doit faire ressortir une interaction entre l'entreprise ou la marque de commerce et des consommateurs canadiens;
  • Pertinence : pour avoir valeur d'emploi, une preuve liée à Internet doit toujours être associée aux produits et services pour lesquels une marque de commerce est déposée ou enregistrée;
  • Lieu de fourniture des services : en ce qui a trait aux services, ceux-ci doivent être offerts au Canada.

Dans le premier des deux articles de cette série, nous aborderons l'interaction. Le deuxième article portera sur la pertinence et le leu de fourniture des services.

Interaction avec des Canadiens

Les tribunaux ont affirmé que le simple fait d'avoir un site Web n'est pas suffisant pour démontrer l'emploi. La preuve liée à Internet doit également montrer une interaction entre l'entreprise ou la marque et les consommateurs canadiens.

Dans l'affaire Waltrip v Boogiddy Boogiddy Racing Inc.2, un commentateur sportif américain de NASCAR a vu être rejetée son opposition à une demande d'enregistrement de la marque de commerce « Boogity Boogity Boogity », expression qu'il utilisait et qui figurait sur sa marchandise. La Commission a déclaré que l'opposant « n'a fourni aucun élément de preuve témoignant du nombre de Canadiens qui ont vraisemblablement consulté ces sites Web ou lu ces articles » dans lesquels figurent ses entrevues ou des commentaires de fans démontrant sa popularité. Elle ajouté que « le chiffre d'affaires correspondant à la vente d'articles de marque [...] au Canada n'a pas été fourni, et aucun renseignement quant au nombre de Canadiens ayant visité son site Web n'a été déposé en preuve »3. Cette cause illustre le fait que les données liées à l'utilisation et à l'accès au site par les Canadiens peuvent dans certains cas constituer des éléments de preuve démontrant l'emploi.

Une telle preuve devrait apporter une ventilation adéquate des données sur le trafic Internet que le site Web ou le service génère à partir du Canada. Par exemple, dans l'affaire Bojangles' International LLC c Bojangles Café Ltd.4, la Cour a examiné une demande de radiation d'une chaîne de restaurants américaine qui n'avait aucune franchise au Canada et a soumis des données montrant que très peu de Canadiens visitaient le site Web mensuellement. La Cour a conclu que la preuve liée à Internet était non déterminante.

En revanche, dans l'affaire Advance Magazine Publishers, Inc. c Banff Lake Louise Tourism Bureau, la preuve soumise par Advance Magazine Publishers' montrait que son site Web avait reçu « plus de 60 millions de visites uniques par des Canadiens »5, ce chiffre s'entendant de différentes personnes qui visitent le site, mais excluant les visites répétées par un même visiteur unique. La Cour a également examiné les activités d'Advance Magazine Publishers' dans les médias sociaux et a conclu qu'il y avait des « des dizaines de milliers 'd'abonnés' canadiens titulaires d'un compte sur Facebook et sur Twitter, ainsi que plus d'un million de 'J'aime' de Canadiens au sujet de divers articles et reportages » et que d'autres abonnés de la chaîne visionnaient les vidéos sur YouTube à partir du Canada. Sa présence importante sur le Web et d'autres éléments de preuve ayant trait à l'octroi de licences au Canada a permis à la Cour de conclure que la marque avait acquis un caractère distinctif au Canada. La Cour a résumé son approche relative à l'utilisation de la preuve liée à Internet et aux médias sociaux comme un moyen d'évaluer l'influence au sein d'un marché. En particulier la Cour a déclaré ce qui suit :

Dans l'évaluation du degré de sensibilisation des clients ou de la portée sur le marché au moyen de la présence sur un site Web ou sur les médias sociaux, le simple fait d'afficher sur un site Web ou d'insérer du contenu sur des plateformes de médias sociaux ne constitue pas nécessairement une preuve de la portée sur le marché qui pourrait militer en faveur d'un caractère distinctif acquis au moyen de l'utilisation au Canada6. En l'espèce, la preuve la plus flagrante porte sur le nombre de visites ou l'activité sur le site Web ou les plateformes de médias sociaux7. Cet élément de preuve est précieux parce qu'il démontre que les Canadiens savent que l'information existe et font le nécessaire pour l'obtenir, ce qui en soi indique un certain degré de souvenir ou de sensibilisation. Les répercussions en ligne de la marque sont évidentes, car les Canadiens doivent prendre des mesures pour interagir, soit en visitant le site Web ou en « suivant » la marque ou en indiquant « J'aime » pour un article vedette ou une photographie publié sur une ou plusieurs plateformes de médias sociaux. Cet élément de preuve est également précieux en ce sens qu'il appuie une analyse portant sur le caractère distinct acquis en vertu de la Loi8.

Vous souhaitez en apprendre davantage? La seconde partie de l'article est disponible ici.

Footnotes

1 Express File Inc. c. HRB Royalty Inc, 2005 CF 542, 39 CPR (4th) 59. Par exemple, des détaillants sont réputés avoir fourni un service au Canada même si leurs activités avaient lieu uniquement en ligne, dans la mesure où des Canadiens pouvaient acheter de la marchandise en ligne et la faire livrer à leur domicile. En revanche, les hôtels doivent généralement avoir un lieu d'affaires au Canada pour être considérés comme fournissant un service. Le simple fait d'avoir un site Web permettant de faire des réservations en ligne n'est pas suffisant. Voir Heenan Blaikie LLP c Sports Authority Michigan Inc, 2011 CF 273 et Supershuttle International, Inc. c Fetherstonhaugh & Co., 2015 CF 1259.

2 2007 CanLII 80867 (CA TMOB), cité avec l'autorisation de la Cour fédérale dans Jack Black L.L.C. v.

3 Canada (Procureur général), 2014 CF 664).

Ibid.

4 Bojangles' International LLC v. Bojangles Café Ltd., 2006 CF 657.

5 Advance Magazine Publishers, Inc.c. Banff Lake Louise Tourism Bureau, 2018 CF 108, au par. 37.

6 UNICAST SA c South Asian Broadcasting Corporation Inc, 2014 CF 295, aux par. 27-31; Cathay Pacific Airways Limited c Air Miles International Trading BV, 2016 CF 1125, au par. 56.

7 TSA Stores, Inc c Registrar of Trade-Marks, 2011 CF 273.

8 TSA Stores; Teaja Holdings Ltd c Jana Beverages Ltd, 2017 COMC 64, au par. 21.

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