Le 30 octobre dernier, le gouvernement canadien a surpris les titulaires de droits de propriété intellectuelle et la communauté juridique du domaine de la PI en proposant des changements radicaux aux principales lois canadiennes en matière de la propriété intellectuelle, dans un projet de loi omnibus de 800 pages intitulé Loi d'exécution du budget. Bien qu'inattendus, ces changements témoignent de la volonté du Canada de moderniser sa législation en matière de propriété intellectuelle.

Le présent bulletin examine les principales modifications proposées à la loi sur les marques de commerce au Canada, notamment 1) l'ajout de la mauvaise foi comme motif d'annulation ou d'opposition, 2) l'octroi de dépens et de l'émission d'ordonnances de confidentialité dans les contentieux administratifs, 3) la création de mécanismes permettant de supprimer les marques officielles caduques du registre, 4) l'obligation d'utilisation d'une marque de commerce comme condition préalable à l'obtention de réparation dans le cadre d'une action en justice pour violation d'une marque, et 5) un resserrement des règles entourant le dépôt de nouveaux éléments de preuve en appel.

La mauvaise foi

Le concept de mauvaise foi existe déjà dans tout système juridique moderne qui se respecte. Ce principe n'a toutefois jamais été facile à appliquer en droit des marques au Canada, et a rarement été invoqué. Par exemple, il n'existe pas de façon simple de se débarrasser de « squatters » qui déposent une demande d'enregistrement pour une marque qui est enregistrée ou connue à l'étranger, mais qui n'est pas encore déposée au Canada. Il est souvent difficile et onéreux de s'opposer ou de s'attaquer à ce genre d'enregistrements plutôt frauduleux.

En vertu des modifications proposées, il existera désormais un moyen plus simple de traiter de la question : les modifications créent un nouveau motif d'opposition à une marque publiée, ou d'invalidation d'un enregistrement, fondé sur le fait que la demande d'enregistrement aurait été déposée de mauvaise foi. Cependant, il reste à voir comment la notion de « mauvaise foi » sera interprétée par le registraire et par les tribunaux.

Dépens et confidentialité

Les modifications proposées au sujet des dépens et de la confidentialité sont des changements souhaités pour ce qui est des contentieux devant la Commission des oppositions, tels les procédures d'opposition, les avis de déchéance et les objections aux inscriptions sur la liste des indications géographiques. L'expérience a démontré que certaines parties poursuivent ou prolongent parfois les procédures contentieuses de manière déraisonnable, ce qui n'emportait jusqu'à présent aucune conséquence néfaste pour l'auteur. Dorénavant, il sera possible que des dépens soient accordés à la partie gagnante, de sorte qu'un plaideur devra bien réfléchir avant de s'engager dans une cause perdante ou de s'opposer à une demande dans le seul but d'obtenir un levier de négociation - si les règlements qui seront éventuellement adoptés (dont le texte n'est pas encore connu) imposent des sommes importantes ou réalistes en matière de dépens.

Par ailleurs, la possibilité d'obtenir des ordonnances de confidentialité dans les procédures d'opposition ou en déchéance permettra désormais aux parties de déposer des données de vente détaillées, chose courante en droit des marques, tout en protégeant la confidentialité de cette information contre toute divulgation à l'adversaire (souvent un concurrent direct) et du grand public.

Marques officielles

Le système particulier des « marques officielles » au Canada est un irritant majeur. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il s'agit de super-marques qui sont portées au registre sans examen de fond, à la demande d'une « autorité publique » au Canada. Ces marques officielles bénéficient d'un champ de protection large et peuvent souvent empêcher un tiers d'enregistrer une marque similaire au Canada, même lorsque l'« autorité publique » en question a cessé d'exister. On a aussi vu des organisations, dont le statut d'autorité publique était douteux au départ, qui obtenaient l'enregistrement d'une marque officielle. L'espace des marques de commerce moderne étant de plus en plus encombré, les marques officielles caduques ou accordées de façon indue sont devenues un problème en ce qu'il n'existait pas de moyen simple de les radier du registre.

Les amendements proposés remédient à cette situation en autorisant le registraire, sur demande ou de sa propre initiative, à donner avis statuant qu'une marque officielle a été demandée par une entité qui n'aurait pas dû être admissible ou qui n'existe plus, ce qui peut entraîner la radiation de cette marque du registre.

Obligation d'utilisation d'une marque avant tout recours

Des modifications législatives antérieures (qui ne sont pas encore en vigueur) avaient éliminé l'exigence selon laquelle il fallait qu'il y ait utilisation de la marque au moment du dépôt de la demande, ou déclaration que cette utilisation avait commencé, afin d'obtenir l'enregistrement de la marque. Malgré la controverse entourant ces modifications antérieures et les craintes qu'elles suscitaient, il est clair que le Canada ne s'éloigne pas radicalement de cette conception traditionnelle du droit des marques fondée sur l'utilisation plutôt que l'enregistrement. En vertu des nouvelles règles, le titulaire d'une marque enregistrée ne pourra obtenir de réparation pour violation de sa marque au cours des trois premières années de l'enregistrement, à moins que la marque soit utilisée au Canada. Après trois ans, des recours juridiques seront disponibles même sans utilisation, mais l'enregistrement pourra faire face à une procédure de déchéance administrative pour non-utilisation. En définitive, le Canada passe d'un système exigeant une utilisation préalable à un système selon lequel la non-utilisation entraîne la perte de droits a posteriori.

Preuve en appel

Le régime actuellement en vigueur au Canada permet de déposer automatiquement des nouveaux éléments de preuve dans le cadre d'un appel devant la Cour fédérale d'une décision de la Commission des oppositions (y compris d'une procédure en déchéance). Cela permet à une partie d'instituer une procédure d'opposition ou répondre à une procédure en déchéance à peu de frais et avec des efforts relativement modestes, sachant qu'elle pourra reprendre sa procédure en appel, si nécessaire. Cela peut constituer un avantage stratégique important, surtout si l'on fait face à une opposition qui aurait été instituée aux seules fins d'obtenir un levier de négociation.

La suppression de ce droit automatique signifie que les parties devront faire de leur mieux en première instance, à défaut de quoi elles risquent de ne pas être en mesure de défendre leur cause en appel. D'un point de vue pratique, cela profitera probablement aux plus petites entités et aux individus, qui risqueront moins souvent d'être traînés devant la Cour fédérale par des opposants qui ont des moyens plus importants. En plus d'équilibrer les règles du jeu, cela pourrait également contribuer à désengorger le rôle d'audiences devant la Commission des oppositions.

Tout porte à croire que les amendements proposés seront adoptés rapidement, avec une entrée en vigueur qui coïncidera sans doute avec les modifications antérieures visant à mettre en œuvre l'accession du Canada au Protocole de Madrid en début 2019.

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