La Cour d’appel de l’Alberta précise que le délai de prescription d’une poursuite civile pour atteinte à la vie privée ne commence à courir qu’à l’expiration du délai d’appel de l’ordonnance de l’OIPC : Moore’s Industrial Service Ltd. c. Kugler 2019 ABCA 178

La Cour d’appel de l’Alberta a rendu dernièrement une décision qui apporte des précisions sur le délai de prescription applicable aux cas d’atteinte à la vie privée. En règle générale, l’Office of the Information and Privacy Commissioner (l’« OIPC ») traite des infractions à la Personal Information Protection Act (la « PIPA »). En règle générale, la PIPA oblige les organisations à obtenir le consentement des particuliers à la collecte, l’utilisation et la communication de leurs renseignements personnels. Il incombe à l’OIPC de recevoir la plainte, d’enquêter sur la plainte et d’organiser une médiation entre les parties à propos de la plainte déposée aux termes de la PIPA. Si la médiation ne suffit pas à régler la plainte, l’OIPC fera enquête et prononcera une ordonnance sur l’atteinte alléguée à la vie privée. Même si la PIPA rend possible la poursuite civile pour atteinte à la vie privée, elle ne précise pas expressément le délai de prescription qui s’y applique. En Alberta, selon la règle générale prévue par la Limitations Act, le particulier doit intenter une poursuite civile deux ans après qu’il a su ou aurait dû savoir que le dommage s’est produit, est attribuable à la conduite du défendeur et justifie la poursuite.  Par conséquent, avant cette décision, le délai de prescription applicable à la poursuite civile pour atteinte à la vie privée était de deux ans après que l’atteinte a eu lieu, du moins le croyait-on. Cependant, la Cour d’appel n’a pas été du même avis.

Les faits

Kugler, qui était employé par Moore’s Industrial Service Ltd. (« Moore’s »), a été congédié en 2009. Dans le cadre de son congédiement, il a rendu à la société l’ordinateur portable qu’il utilisait à des fins professionnelles. En octobre 2010, M. Kugler a découvert qu’un employé de Moore’s avait eu accès à son compte de courriel personnel et avait transféré ses courriels personnels au chef de la direction de Moore’s sans son consentement. À l’automne 2011, M. Kugler a déposé une plainte auprès de l’OIPC. La plainte a fait l’objet d’une enquête et la médiation n’a pas entraîné de règlement. Par conséquent, l’OIPC a commencé son enquête et, le 29 novembre 2013, a conclu que Moore’s avait contrevenu à son obligation de protection de la vie privée en application de la PIPA. L’OIPC a prononcé une ordonnance en vertu de l’article 52 de la PIPA. Moore’s n’a pas demandé la révision judiciaire de l’ordonnance qui, selon l’article 52 de la PIPA, n’est pas l’objet d’un droit d’appel. M. Kugler a alors intenté une action en dommages-intérêts le 15 janvier 2015 soit : (i) plus de deux ans après le prononcé de l’ordonnance de l’OIPC, (ii) plus de trois ans après le dépôt de la plainte auprès de l’OIPC, (iii) près de six ans après la découverte de l’atteinte à sa vie privée par M. Kugler. Moore’s a demandé le rejet sommaire de la poursuite au motif que le délai de prescription était expiré parce que la poursuite civile avait été intentée plus de deux ans après la découverte de l’atteinte à sa vie privée par M. Kugler.

Décision

La Cour d’appel de l’Alberta a examiné la relation entre la PIPA et le Limitations Act. Selon l’article 60 de la PIPA, il n’existe aucun délai applicable au dépôt d’une plainte. La plainte doit simplement être déposée dans un délai raisonnable (reasonable time). L’enquête et la médiation ne sont pas non plus soumises à des échéanciers précis. Avant le prononcé d’une ordonnance, la seule obligation en termes de délai est celle de terminer l’enquête dans l’année de la réception de la plainte, mais la période d’un an peut être prolongée. Après le prononcé de l’ordonnance, la demande de révision judiciaire doit être déposée dans les 45 jours de la réception d’une ordonnance de l’OIPC.

La Cour d’appel a fait observer qu’en application de la PIPA, les poursuites civiles pour atteinte à la vie privée ne peuvent être intentées avant le prononcé de l’ordonnance de l’OIPC. Par conséquent, si M. Kugler avait commencé sa poursuite civile avant le prononcé de l’ordonnance de l’OIPC, sa poursuite aurait pu faire l’objet d’annulation faute de communication d’une cause d’action.  Autrement dit, le fait que le délai de prescription applicable au lancement d’une poursuite civile commence à courir seulement à l’expiration du délai de révision judiciaire de l’ordonnance de l’OIPC constitue le seul point de comparaison raisonnable entre la PIPA et le Limitations Act. Par conséquent, Moore’s a été déboutée de sa demande de rejet sommaire de l’instance fondée sur l’expiration du délai de prescription.

Principales conclusions

La décision Moore’s apporte des précisions sur le délai de prescription applicable aux actions en dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée.  Malheureusement, elle permet aux particuliers d’intenter une poursuite plusieurs années après la découverte de l’atteinte à la vie privée. Le compte à rebours ne commence qu’après le prononcé de l’ordonnance de l’OIPC et l’expiration du délai de dépôt d’une demande de révision judiciaire. Étonnamment, la Cour d’appel n’a pas traité du délai de prescription en situation de dépôt d’une demande de révision judiciaire.  Par conséquent, il est toujours possible de soutenir que le délai de prescription pourrait encore être prolongé davantage en pareille situation.

Les organisations qui prennent connaissance d’une atteinte à la vie privée doivent conserver les registres liés à l’atteinte plusieurs années après sa découverte puisqu’elles seront tenues de produire l’information dans le cadre d’un litige éventuel. Même si l’instance peut être lancée deux ans après le prononcé de l’ordonnance définitive de l’OIPC, la demande civile n’a pas à être signifiée au défendeur moins d’un an après qu’elle a été présentée.  En outre, le délai de signification peut être prolongé de trois mois supplémentaires sur ordonnance de du tribunal. Ainsi, une organisation pourrait prendre connaissance d’une poursuite civile plus de 39 mois après le prononcé de l’ordonnance de l’OIPC.  Les organisations doivent connaître ces échéances au moment de l’évaluation des risques de poursuites éventuelles qu’elles pensaient être hors délais.

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