L'Avant-Projet relatif à la révision partielle du Code de procédure civile suisse (CPC) a été soumis à consultation le 2 mars 2018. Il vise principalement à renforcer l'exercice collectif des droits. Par ailleurs, des modifications ponctuelles sont proposées, lesquelles doivent permettre d'améliorer l'application pratique du CPC, et par là-même, la protection des droits civils en Suisse.

1 ARRIERE-PLAN DE LA REVISION

Voici sept ans que le CPC est entré en vigueur et a remplacé les anciennes lois cantonales, unifiant la procédure civile au niveau national. Durant cette période, le CPC a fait ses preuves et s'est avéré efficace en pratique.

La révision vise à faciliter la possibilité de faire valoir des prétentions liées à des dommages collectifs grâce à une nouvelle réglementation en matière d'action des organisations et à la création d'une procédure dite de transaction de groupe. La révision du CPC s'inspire des propositions déjà contenues dans l'Avant-Projet de la Loi sur les services financiers de 2014. A l'époque, celles-ci s'étaient, à juste titre, heurtées à un refus en raison de leur portée générale allant au-delà du secteur financier. Par ailleurs, d'autres modifications doivent combler certaines lacunes ponctuelles du CPC, constatées jusqu'à présent dans le cadre de son application. La révision regroupe dès lors des propositions variées dans le domaine de la procédure civile.

Cette Newsletter présente brièvement les principales modifications proposées dans le cadre de cette révision.

2 RENFORCEMENT DE LA MISE EN OEUVRE COLLECTIVE DES DROITS

2.1 L'ACTION DES ORGANISATIONS SELON LE DROIT ACTUEL

Selon le droit actuel et singulièrement l'art. 89 CPC relatif à l'action des organisations, les associations et autres organisations peuvent agir en justice pour protéger des intérêts collectifs. Cependant, de telles actions ne peuvent être de nature pécuniaire et visent uniquement à obtenir la prévention de l'atteinte, sa cessation ou le constat de son caractère illicite.

2.2 ELARGISSEMENT DE L'ACTION DES ORGANISATIONS

La révision prévoit l'introduction d'une action en réparation des organisations qui doit permettre à ces dernières de faire valoir des prétentions de nature pécuniaire, en particulier de réclamer des dommages-intérêts collectifs. Selon le rapport explicatif, un éventuel dommage pourra se fonder – pour autant qu'il concerne un grand nombre de personnes – sur la vente de produits défectueux, une atteinte aux règles du droit des cartels ou encore des pratiques commerciales déloyales.

Par ailleurs, l'art. 89a permettra, en plus des actions existantes, de réclamer des dommages-intérêts, une remise de gain ou la restitution d'un enrichissement illégitime. Dans ce cadre, l'organisation fera valoir, en son propre nom, les prétentions de nature pécuniaire des membres individuels du groupe de personnes représenté. En revanche, d'éventuelles prétentions en indemnisation du tort moral resteront exclues.

Les organisations auront nouvellement qualité pour agir en justice, à condition:

  • d'avoir un but non lucratif;
  • que leurs statuts ou actes constitutifs prévoient la protection des intérêts du groupe de personnes concerné; et
  • de disposer des ressources professionnelles, organisationnelles et financières nécessaires à la défense des intérêts du groupe de personnes concerné.

L'action en réparation des organisations ne sera recevable qu'aux conditions suivantes:

  • les membres du groupe de personnes représenté disposent de prétentions pécuniaires et de nature personnelle, basées sur une violation du droit;
  • le gain éventuel du procès doit revenir de manière prépondérante au groupe de personnes concerné ou être exclusivement utilisé dans leur intérêt;
  • les membres concernés du groupe de personnes ont autorisé – preuve à l'appui – l'organisation à agir en justice; et
  • l'organisation demanderesse est apte à faire valoir des prétentions pécuniaires (par ex. en raison du fait qu'elle dispose d'une activité dans toute la Suisse ou de connaissances approfondies dans le domaine du droit concerné).

Un jugement rendu suite à l'action d'une organisation n'aura aucun effet à l'égard des personnes qui n'avaient pas autorisé ladite organisation à agir en justice (dite solution de "opt in"). Par conséquent, l'organisation sera tenue d'informer le public, de manière appropriée, au plus tard le jour du dépôt de l'action, afin que les personnes concernées aient l'opportunité d'y prendre part.

2.3 CREATION D'UNE PROCEDURE DE TRANSACTION DE GROUPE

Toujours dans une optique d'amélioration de la protection des droits collectifs, le deuxième élément essentiel de l'Avant-Projet n'est autre que la création d'une nouvelle procédure de transaction de groupe (art. 352a ss).

En résumé, il s'agit de permettre à une personne à qui une violation du droit est reprochée de conclure une transaction de groupe avec une organisation légitimée à introduire une action en justice en vertu de l'art. 89 CPC. Par la suite et sur requête, un tribunal pourra ratifier la transaction et la déclarer obligatoire pour toutes les personnes concernées. Ainsi, la transaction liera ces personnes, sauf si elles renoncent, par écrit et dans un délai d'au moins trois mois, à y participer (dite solution de "opt out"). À cela s'ajoute que les parties à une transaction de groupe pourront convenir que ladite transaction soit annulée si, dans un certain délai, plus de personnes qu'un nombre prédéfini, devaient renoncer à y participer.

L'Avant-Projet comporte des dispositions sur les éléments que cette transaction doit obligatoirement contenir, à savoir:

  • la violation du droit alléguée et le dommage en résultant;
  • le groupe de personnes concernées et leur nombre;
  • le montant maximal de l'indemnité à allouer et sa répartition approximative entre les personnes concernées;
  • les conditions de paiement de l'indemnité;
  • la procédure à suivre pour faire valoir, déterminer et payer l'indemnité aux personnes concernées; ainsi que
  • la répartition des coûts.

La révision prévoit encore d'autres dispositions concernant la procédure permettant d'obtenir la ratification du tribunal et la déclaration d'effet obligatoire de la transaction. Avant d'approuver la transaction de groupe, le tribunal devra en particulier vérifier l'adéquation de l'indemnité convenue. En outre, une transaction de groupe ne pourra être approuvée que si la violation du droit en question touche un nombre suffisamment élevé de personnes, de sorte que le caractère obligatoire de la transaction apparaisse justifié.

3 ADAPTATIONS PONCTUELLES DU CPC

3.1 REDUCTION DES OBSTACLES FINANCIERS

La révision prévoit différentes adaptations des règles relatives aux frais de procédure. En particulier, le montant des avances de frais sera limité, au maximum, à la moitié des frais judiciaires présumés (art 98). Par ailleurs, les frais judiciaires ne pourront être compensés par les avances versées par une partie que dans la mesure où les frais sont mis à la charge de cette dernière dans la décision (art. 111). À l'avenir, le risque de recouvrement sera dès lors supporté par l'État, et plus par les parties.

Ces adaptations répondent à une critique répandue du droit actuel relatif aux frais de procédure, perçu de facto comme un obstacle à l'accès aux tribunaux ou encore comme un "Paywall". Cela étant, le Conseil fédéral s'est prononcé contre l'exemption des avances de frais ou leur réduction à une simple "taxe d'avertissement". En effet, la fonction de filtre des avances de frais, en particulier l'interdiction d'intenter des procès abusifs ou quérulents, doit perdurer.

Enfin, les tribunaux seront tenus – en vertu de leur devoir d'information sur les frais entériné à l'art. 97 CPC – d'attirer l'attention des parties sur les possibilités de financement du procès.

3.2 DROIT DES JURISTES D'ENTREPRISES DE REFUSER DE COLLABORER

Dans le cadre d'un nouvel art. 160a, l'obligation de collaborer des juristes d'entreprises en matière de preuve sera limitée. Les motifs de refus ne pourront être invoqués que (i) pour les activités spécifiques de la profession d'avocat et (ii) uniquement si le service juridique concerné est sous la direction d'une personne qui remplit les conditions professionnelles requises pour exercer en tant qu'avocat. Parallèlement au droit de refuser de témoigner, l'obligation de remettre des documents concernant des contacts avec le service juridique sera nouvellement exclue.

Cette nouvelle règlementation vise à éviter des désavantages procéduraux pour les entreprises suisses par rapport aux entreprises étrangères. Selon le droit actuel, le secret professionnel protégé par le droit pénal (art. 321 CP) – lequel fonde le droit de refuser de collaborer en procédure civile – ne peut être invoqué que par des avocats exerçant la profession. La question de la protection du secret professionnel des juristes d'entreprises a déjà fait l'objet de plusieurs propositions ces dernières années, lesquelles ont toutes été rejetées.

3.3 RENFORCEMENT DE LA PROCEDURE DE CONCILIATION

La révision vise encore à développer la procédure de conciliation sur différents points. Contrairement à ce que le droit actuel prévoit, cette procédure pourra également intervenir sur requête du demandeur, même lorsque la demande est de la compétence du tribunal de commerce ou d'une autre instance cantonale unique compétente pour certains litiges en vertu de l'art. 5 CPC. Pareille proposition devrait permettre, d'une part, d'augmenter le nombre de litiges résolus à l'échelon de la conciliation (selon le rapport explicatif, à ce jour, le taux de succès se situe entre 50% et 80%), et d'autre part, d'interrompre de manière efficace les délais de prescription. Cela étant, il convient de tenir compte du fait que la solution proposée – attendu qu'elle est facultative – soulèvera, en particulier dans des dossiers de nature internationale, différentes questions s'agissant du début de la litispendance.

3.4 STATUT DES EXPERTISES PRIVEES DE PARTIES

Il est également proposé que les expertises privées, commandées par les parties et non ordonnées par le tribunal soient admises en tant que titres parmi les moyens de preuves existants (art. 177). Cette modification a pour but de se distancer de la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle les expertises privées des parties sont assimilées aux déclarations des parties. Dans la mesure où elles seront qualifiées de moyen de preuves, ces expertises seront soumises au principe de la libre appréciation des preuves (art. 157). Leur valeur probante dépendra de toutes les circonstances pertinentes du cas d'espèce.

3.5 RECOURS CONTRE LE REJET DES MESURES SUPERPROVISIONNELLES

L'introduction d'un art. 265 al. 4 vise à clarifier la situation juridique en cas de rejet total ou partiel de requêtes de mesures superprovisionnelles. Ces mesures (préventives) sont, en raison de leur caractère particulièrement urgent, ordonnées immédiatement et sans entendre la partie adverse.

Tout d'abord, la révision vise à remédier à l'incertitude actuelle quant à l'existence d'un recours contre une décision de refus total ou partiel de mesures superprovisionnelles. La disposition proposée instaure expressément un droit de recours. Ensuite, l'art. 265 al. 4 stipule que le requérant peut demander au tribunal d'attendre jusqu'à ce que la décision sur recours ait été rendue, avant de communiquer la décision de refus et de convoquer la partie adverse à une audience ou de lui fixer un délai pour se déterminer. Cela résoudrait l'inconvénient actuel qui veut que la partie adverse est informée de la requête de mesures superprovisionnelles avant une éventuelle procédure de recours, ce qui compromet l'efficacité desdites mesures (non encore ordonnées).

3.6 SIMPLIFICATION EN CAS DE SAISINE D'UN TRIBUNAL INCOMPETENT

La révision vise encore à atténuer les effets négatifs actuels en matière de respect des délais en cas d'incompétence du tribunal saisi. Si une demande est déposée dans le délai requis, mais par erreur auprès d'un tribunal manifestement incompétent, elle sera tout de même considérée comme ayant été déposée en temps utile (art. 143 (1) bis). À cela s'ajoute que dans le cas d'un jugement sur incompétence, à la requête du demandeur, la demande pourra être transférée au tribunal compétent que le demandeur désignera. La litispendance créée par le dépôt de la demande initiale sera préservée (art. 60a).

3.7 RENFORCEMENT DE LA COORDINATION DES PROCEDURES

L'Avant-Projet propose de faciliter le dépôt coordonné de plusieurs actions, en particulier en cas de consorité simple, d'appel en cause, de cumul d'actions et de demande reconventionnelle. Les modifications en la matière portent notamment sur la condition – souvent considérée comme trop restrictive – selon laquelle les prétentions doivent être soumises au même type de procédure.

3.8 NOUVELLES REGLES CONCERNANT LA PUBLICATION DE DECISIONS ET LES STATISTIQUES

Pour finir, l'Avant-Projet vise à donner au Conseil fédéral la compétence de réglementer la publication électronique des décisions (art. 400 al. 2bis) et de créer une base d'accès à des statistiques relatives aux procédures civiles (art. 401a).

4 VUE D'ENSEMBLE

La période de consultation dure jusqu'au 11 juin 2018. Les résultats sont attendus avec intérêt.

Dans une perspective à moyen terme, il convient de relever que le Conseil fédéral, dans son rapport explicatif, apparaît ouvert au développement et positionnement de la Suisse en tant que pôle de résolution des litiges sur le plan international.

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