Branle-bas de combat à l'Hôtel du gouvernement. Et ce, depuis la confirmation de la juridiction mauricienne sur la liste noire de l'Union européenne. Si les Services financiers comptent émettre un communiqué, le gouvernement intensifie les lobbies et discussions diplomatiques...

Annoncée le 7 mai par le biais d'une loi déléguée, l'inclusion de Maurice sur la liste noire de l'Union européenne (UE) est devenue effective le 7 juin, car entre-temps, il n'a pas eu d'objections formelles de la part d'autres instances européennes, nommément le Conseil européen ou encore le Parlement.

Résultat des courses : Maurice fait officiellement partie de la liste noire des juridictions à hauts risques. Comme une vingtaine d'autres pays qui y figurent aussi. Du coup, les opérateurs se posent des questions sur l'avenir du secteur offshore, et plus précisément, sur celui des services financiers qui contribue aujourd'hui à plus de 12 % au produit intérieur brut.

Cependant, il faudra attendre le 1er octobre pour que la liste des pays «blacklistés» soit officialisée. Ce qui peut donner une petite marge de manSuvre au gouvernement pour renverser la vapeur et enlever Maurice de cette zone rouge. «Il existe une lueur d'espoir avec l'initiative de la Hongrie, comme État-membre, qui a demandé officiellement à la Commission de revoir cette liste des pays à hauts risques sur la base des améliorations faites, par rapport à la lutte menée contre le blanchiment d'argent , voire le financement du terrorisme», explique Assad Abdulatiff, qui a été investi du pouvoir à travers plusieurs comités  soustraire Maurice des griffes de la liste noire. Et ce, pour le compte de l'Association of Trusts & Management Companies (ATMC).

Plus de temps à perdre

Marc Hein, Senior Counsel, président du conseil d'administration et fondateur de Juristconsult, un cabinet d'avocats spécialisés dans la loi des affaires, abonde dans le même sens. Il estime que tout espoir n'est pas perdu.

«La possibilité de sortir de cette impasse ne se situe pas au niveau du Parlement européen mais au niveau du Conseil des ministres de l'UE. Si on exploite cette possibilité, on peut obtenir un report de la date où l'inclusion de Maurice comme une juridiction à risque élevé sera officialisée. Entre-temps, Maurice pourra alors s'engager dans une campagne pour démontrer aux Européens que cette juridiction ne mérite pas d'être classifiée sur cette liste, surtout que l'on ne nous a pas donné l'opportunité de donner notre avis dans cette affaire».

Et d'insister sur le fait qu'il n'y a pas de temps à perdre. Car selon ses contacts, il ressort que c'est du 17 au 19 juin que tous les dossiers se rapportant à Maurice seront examinés au niveau de l'UE. Du coup, il demande au gouvernement de prendre en compte  les propositions de la communauté des affaires vu que le blacklisting de Maurice est une affaire qui affecte la nation mauricienne dans son ensemble.

«C'est le moment de nous unir. Il faut que dans le cadre de cette affaire surgisse, ce que j'appellerai volontiers, l'universalisme mauricien. Car ils sont nombreux les Mauriciens, d'ici et d'ailleurs, disposés à aider le pays à sortir de cette impasse», insiste Marc Hein qui rappelle que Maurice est loin d'être un pays abritant des groupuscules engagés dans le terrorisme international.

Efforts diplomatiques

Toutefois, une source proche du dossier explique que le gouvernement a déployé tous les efforts diplomatiques et politiques possibles pour rassurer les instances européennes de l'engagement du gouvernement à se conformer au plan d'action du Groupe d'action financière (GAFI).

«Nous avons eu des discussions au plus haut niveau pour plaider notre cause. Leurs dirigeants nous ont écoutés sans pour autant faire avancer le dossier. Car quand un pays est classé sur cette liste, les procédures de delisting sont difficiles, voire impossibles». D'espérer qu'outre la Hongrie, d'autres États se manifestent pour réclamer un réexamen de la liste.

N'empêche que cette nouvelle est venue jeter un coup de froid sur les opérateurs du Global Business, estimant que le blacklisting de Maurice, au cas où les autorités ne parviennent pas à infléchir la position de la Commission, serait néfaste pour cet important segment d'activités du pays. «Nous avons déjà souligné dans le passé que le blacklisting de notre centre financier est aussi dangereux que la crise du Covid-19. Il y a des risques que tout un pan entier de l'économie disparaisse», martèlent des spécialistes de ce secteur.

Le chairman de l'ATMC: «Je ne vois pas ce qu'on aurait pu faire de plus...»

Nullement surpris, le Chairman de l'ATMC, Mahesh Doorgakant, estime que c'est au gouvernement de démontrer que le pays ne mérite pas d'être placé sur cette liste. Cependant, il soutient que le gouvernement a suffisamment défendu ce dossier auprès des instances européennes.

«Je ne vois pas ce qu'on aurait pu faire de plus. Cette situation est intervenue à un mauvais moment. Sans la pandémie, il est certain que les dirigeants auraient pris l'avion pour obtenir des rencontres en face-à-face avec les dirigeants de l'UE. Une rencontre physique aurait eu plus d'impact que des échanges par voie téléphonique».

Quid de la marche à suivre ? Mahesh Doorgakant estime qu'il n'y a pas mille solutions. «Il faut une communication tous azimuts pour nous faire la démonstration que, d'ici la fin de cette année ou au plus tard au début de 2021, les critiques faites à l'égard de la juridiction mauricienne relèveront du passé».

Cependant, s'il s'avère difficile de s'extirper de la liste noire, les investisseurs, dit-il, n'auront pas le choix que d'accepter d'encourir des coûts élevés, associés à une éventuelle délocalisation de leurs opérations. Autre interrogation est celle exprimée par les firmes d'experts-comptables, à l'instar  de Wasoudeo Balloo, partenaire en fiscalité chez KPMG. Selon lui, ce sera difficile pour attirer de nouveaux clients avec l'image écornée de Maurice.

Mahen Seeruttun, ministre des Services financiers : «Un communiqué sera émis»

Invité à commenter l'inclusion de la juridiction mauricienne sur la liste, Mahen Seeruttun a laissé entendre qu'un communiqué sera émis, mais pas avant la publication officielle de la liste de l'UE.

Silence de la FSC

Nous avons sollicité une déclaration du CEO de la Financial Services Commission (FSC), Vikash Thakoor, par l'intermédiaire  de sa responsable de com. Au moment où nous mettions sous presse, une réponse était toujours attendue.

Des mesures budgétaires pour se conformer au plan d'action du GAFI

Entre-temps, le gouvernement s'est engagé à prendre un certain nombre de mesures d'ici septembre 2020. Elles portent notamment sur les supervisions fondées sur les risques conformément aux recommandations du GAFI, la mise en place de programmes de sensibilisation ciblés pour promouvoir une meilleure compréhension des risques liés au blanchiment de capitaux ou encore, des sanctions financières à prendre en cas de financement du terrorisme. Parallèlement, le ministère des Services financiers compte compléter le cadre légal existant, à travers de nouvelles lois.

Sudhir Sesungkur pour le démantèlement de l'ICAC

Quid de la responsabilité de l'ancien ministre des Services financiers, Sudhir Sesungkur ? Ce dernier est catégorique : le secteur du Global Business est sérieusement menacé et il blâme le gouvernement de ne pas avoir donné assez de moyens et de pouvoirs aux institutions comme l'Independent Commission against Corruption (ICAC) et la police.

D'emblée, Sudhir Sesungkur rappelle que sur les 58 recommandations, il avait déjà pris 53 mesures. Et pourquoi pas les cinq restantes ? «Ce ne sont pas des mesures qui concernent directement le ministère des Services financiers. Elles avaient surtout trait à l'ICAC et à la police. Et pour des raisons que vous devinez, on n'a jamais permis à certaines institutions d'évoluer en toute liberté...».

En 2014, l'équipe de Pravind Jugnauth avait dans son manifeste électoral parlé de la mise sur pied d'une Financial Crime Commission. Six ans après, elle n'a toujours pas vu le jour. «L'Europe et le FATF sont plus intéressés à voir comment vous luttez contre le blanchiment d'argent et pas seulement à voir de belles lois votées à l'Assemblée nationale», dit l'ancien ministre.

Et pourquoi n'a-t-il pas proposé ces réformes et la mise en place d'une Financial Crime Commission ? «Croyez-vous que si cela ne dépendait que de moi, je ne l'aurais pas fait ? Cela a trait aux prérogatives du Premier ministre. Il n'y a jamais eu de réelle volonté politique pour combattre le blanchiment d'argent.» Selon Sudhir Sesungkur, les conséquences de cette inclusion sur la liste noire de l'UE sont multiples. «À part le Global Business, cette 'sanction' touchera également nos banques. Ces dernières travaillent avec des banques correspondantes pour payer les importations ou toute autre dépense en devises étrangères. De grandes banques soucieuses de leur réputation pourraient réfléchir à deux fois avant d'accepter de travailler avec nos institutions», dit-il.

Originally published August 3, 2020.

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