La liberté d'expression n'est pas un droit infini. Apologie de crime contre l'humanité, incitation à la haine raciale, à la haine à l'égard de personnes en raison de leur sexe1 : tels en sont des exemples de limites.

A ce titre, les réseaux sociaux se présentent comme des modérateurs de ce droit. En effet, rappelons qu'ils ont l'obligation de suspendre promptement la diffusion de tout contenu dont le caractère manifestement illicite leur a été notifié2.

La Cour d'appel de Paris avait d'ores et déjà condamné Twitter à détailler les moyens qu'il met en Suvre pour lutter contre la haine en ligne, comme nous vous en informions précédemment.

Dans son arrêt du 23 mars 2023, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Twitter, rendant ainsi définitive la condamnation prononcée par la Cour d'appel.

L'insuffisance des informations communiquées par Twitter

Rappelons que la Cour d'appel a condamné la société américaine à communiquer aux associations défenderesses, dans un délai de deux mois, tout document – qu'il soit administratif, contractuel, technique, ou commercial - relatif aux « moyens matériels et humains mis en Suvre dans le cadre du service Twitter pour lutter contre la diffusion des infractions d'apologie de crimes contre l'humanité, l'incitation à la haine raciale, à la haine à l'égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, l'incitation à la violence, notamment l'incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine ».

A la suite de cela, Twitter a fourni une lettre de conseil contenant diverses informations et un document sous la forme de support de présentation, que la Cour de cassation juge insuffisants.

Tout d'abord, la lettre de conseil fournie par Twitter « ne peut être considérée satisfaisante, au regard de l'exigence de production, aux termes de l'arrêt, de documents administratif, contractuel, technique, ou commercial internes à l'entreprise, relatifs aux moyens matériels et humains mis en Suvre dans le cadre du service Twitter pour lutter » contre la haine en ligne.

Par ailleurs, le support de présentation est fourni sans indication de son ou de ses destinataires, et ne contient que des informations générales, imprécises, parcellaires et insuffisantes, ainsi que des données chiffrées dont on ignore si elles concernent seulement la France ou le monde entier.

La Cour précise que ces éléments ne sont corroborés par aucun document interne concernant la plateforme française de ses services sur la période concernée du 18 mai 2020 au 9 juillet 2021.

Ainsi, la Cour de cassation relève que l'insuffisance des informations fournies est constatée :

  • S'agissant des signalements, faute de chiffres sur leur nombre en provenance des utilisateurs de la plateforme française, et sur celui des retraits subséquents ;
  • S'agissant de la justification des moyens matériels et humains consacrés à la lutte contre la haine en ligne pendant la période visée sur la plateforme française ;
  • S'agissant de l'obligation de fournir le nombre de signalement d'utilisateur de la plateforme française, en matière d'apologie des crimes contre l'humanité et d'incitation à la haine raciale, « la société qui prétend ne pas détenir ces informations, fournit pourtant des pourcentages qui ont été nécessairement obtenus sur la base du recensement de signalements qu'il lui serait possible de donner» ;
  • S'agissant des informations données sur les contenus haineux de manière générale, alors que l'arrêt exige la communication de données relatives aux seuls domaines de l'apologie des crimes contre l'humanité et de l'incitation à la haine raciale.

Pour toutes ces raisons, la Cour de cassation retient « l'insuffisance des informations communiquées au regard des exigences de l'arrêt (...) et au regard de son obligation légale de rendre publics les moyens qu'elle consacre à la lutte contre les activités illicites ».

Par conséquent, la Cour rejette le pourvoi formé par Twitter.

Une obligation de transparence quant aux moyens consacrés à la lutte contre les activités illicites

Par cette ordonnance, Twitter est définitivement condamné à communiquer lesdocuments relatifs aux moyens – matériels et humains – qu'il met en Suvre pour lutter contre la haine en ligne, et, plus spécifiquement, contre « la diffusion des infractions d'apologie de crimes contre l'humanité, d'incitation à la haine raciale, à la haine à l'égard de personnes à raison de leur sexe ».

Il est attendu de Twitter qu'il verse des informations détaillées sur le nombre, la localisation, la nationalité, ou encore la langue des personnes affectées au traitement des signalements, mais aussi sur le nombre de signalements, les critères et le nombre de retraits subséquents opérés, ainsi que le nombre d'informations transmises aux autorités publiques compétentes.

Cette ordonnance met en exergue les obligations des réseaux sociaux comme Twitter de concourir activement à la lutte en ligne et de rendre publics les moyens qu'ils consacrent à cette lutte : une façon de responsabiliser davantage les réseaux sociaux quant à la modération dont ceux-ci se prévalent vis-à-vis des contenus qu'ils hébergent.

Footnotes

1. Article 6. 7 LCEN

2. Article 6.2 LCEN

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