Le 25 février dernier, la Chambre commerciale internationale de la Cour d'appel de Paris (CCIP-CA) a eu l'occasion de se prononcer pour la première fois sur l'indépendance et l'impartialité des arbitres et plus généralement sur l'étendue de leur obligation de révélation.

Par cet arrêt, la CCIP-CA adopte une approche pragmatique laissant transparaitre sa volonté d'adopter une approche casuistique.

En l'espèce, plusieurs sociétés brésiliennes avaient conclu un consortium pour l'exploration et l'exploitation pétrolière. En raison d'un désaccord survenu entre elles, l'une des sociétés - la société Dommo Energia SA - a été empêchée de vendre sa participation à un tiers.

Dans ce cadre, la société Dommo Energia SA a initié un arbitrage devant la London Court of International Arbitration (LCIA) en choisissant Paris comme lieu du siège de l'arbitrage.

En cours de procédure, l'une des défenderesses a choisi un nouveau conseil pour assurer sa défense, et ce alors même qu'une sentence intérimaire avait déjà été rendue. L'arrivée de ce nouveau conseil a contraint l'un des arbitres a à actualiser sa déclaration d'indépendance.

A plusieurs reprises, la société demanderesse a sollicité l'actualisation et l'ajout de précisions quant à sa déclaration. Notamment, le 2 janvier 2019, l'arbitre a fait état de ses liens avec un cabinet dont certains des clients sont également actionnaires de l'une des sociétés défenderesses, et a précisé qu'il a également été avocat entre avril 2012 et juillet 2015 au sein d'un cabinet d'avocat saoudien partenaire.

Dans ces circonstances, Dommo Energia SA a formulé une demande de récusation devant la LCIA. Celle-ci ayant été rejetée, elle a formé en conséquence un recours en annulation contre la sentence tirée de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral.

Dans ce cadre, la demanderesse alléguait que le défaut de révélation du lien existant entre l'arbitre et un cabinet qui a pour client des actionnaires de l'une des sociétés défenderesses est suffisant du point de vue d'un « observateur raisonnable » pour douter de l'indépendance et de l'impartialité de l'arbitre.

Les sociétés défenderesses alléguaient quant à elles de l'exception de notoriété et du caractère non significatif et très indirect des liens existants entre l'arbitre et les actionnaires ainsi que de l'ancienneté de ces liens.

Par son arrêt, la CCIP-CA précise comment la notoriété d'un fait doit être déterminée (1) et se prononce sur les liens entre le fait non-révélé et le défaut d'indépendance et d'impartialité (2).

1. Sur l'exception de notoriété

Alors que la société défenderesse prétendait que le lien était notoire en ce qu'une simple consultation du site internet de l'arbitre permettait de connaître ce lien, la CCIP-CA a décidé de procéder à une analyse factuelle et a conclu que l'information n'était accessible qu'après une analyse minutieuse du site internet et la consultation de nombreux liens hypertextes.

Le premier apport de cet arrêt réside dans le fait que la notoriété ne peut être retenue que si « l'accès à l'information nécessite plusieurs opérations successives qui s'apparentent à des mesures d'investigation  ».

La CCIP-CA confirme ainsi la jurisprudence antérieure exigeant des conditions de publicité et d'accessibilité.

Le deuxième apport de cet arrêt réside dans la confirmation que seules les informations publiques aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l'arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d'une situation.

A nouveau, cette position est cohérente avec la jurisprudence existante précisant qu'il peut être fait exception à l'obligation de révélation de l'arbitre si, avant le début de l'arbitrage, le fait non-révélé était notoire, car accessible au public et connu. En revanche, après le début de la procédure les parties n'ont pas un devoir d'investigation et il appartient aux arbitres de révéler tous les faits susceptibles d'affecter leur indépendance et leur impartialité.

2. Sur l'absence d'automaticité entre fait non-révélé et défaut d'indépendance et d'impartialité

Le troisième apport réside dans la dissociation entre l'annulation de la sentence et le fait non-révélé.

La CCIP-CA indique que la déclaration lacunaire de l'arbitre n'entraîne pas l'annulation automatique de la sentence et qu'elle n'intervient que si l'élément est « de nature à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'impartialité et l'indépendance de l'arbitre, l'appréciation devant être faite sur des bases objectives et en tenant compte des spécificités de l'espèce ».

La CCIP-CA confirme ainsi la jurisprudence française dissociant défaut de révélation et défaut d'indépendance.

Sur le fondement de l'article 1456 alinéa 2 du Code civil applicable à l'arbitrage international, la CCIP-CA retient une conception objective des faits à révéler, fondée sur la preuve d'un lien direct ou indirect, matériel ou intellectuel, entre les actionnaires de la partie défenderesse et l'arbitre.

Les juges contrôlent ainsi l'existence de liens matériels ou intellectuels, soit par les cabinets d'avocats concernés, soit en établissant un courant d'affaires entre les actionnaires et l'arbitre.

La CCIP-CA a retenu que le simple fait que l'arbitre ait été conseil au sein d'un cabinet partenaire de celui auquel appartient l'avocat de la société défenderesse est insuffisant à établir un lien ou un courant d'affaires avec les actionnaires de la partie défenderesse. La Cour relève d'ailleurs que l'utilisation par l'arbitre de l'adresse email avec le nom de domaine dudit cabinet ne suffit pas non plus à caractériser un lien. La Cour précise également que ces éléments sont insuffisants pour faire naître un conflit d'intérêts actuel entre l'arbitre et le cabinet d'avocats impliqué.

En définitive, la CCIP-CA considère que l'annulation ne peut être systématique même si le devoir de révélation doit être le plus large possible. Elle adopte ainsi une solution convaincante.

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Originally published 18 Mai 2020

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