Le 28 janvier dernier1, le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre, statuant en référé, a accordé des dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété à certaines victimes du Mediator dans trois jugements.

Si le préjudice d'anxiété a déjà été reconnu par les juridictions françaises dans d'autres affaires, notamment pour les victimes de l'amiante, c'est la première fois qu'il est reconnu dans l'affaire du Mediator.

Le scandale du Mediator

Le scandale sanitaire lié au Mediator est apparu en France en 2007, suite à la révélation par le Docteur Irène Frachon de l'existence de risques de développer de graves lésions des valves cardiaques et de l'hypertension artérielle pulmonaire, une pathologie rare et actuellement incurable, pour les patients ayant ingéré ce médicament. Le Mediator, initialement prescrit à des personnes diabétiques en surpoids, a également été détourné par certains patients comme « coupe-faim ».

La distribution du Mediator, médicament fabriqué par le laboratoire pharmaceutique Servier, a été interdite en France le 30 novembre 20092.

Le 22 octobre 20153, le Tribunal de grande instance de Nanterre a retenu la responsabilité du laboratoire Servier dans l'affaire du Mediator pour la première fois et l'a condamné à payer des dommages et intérêts à deux victimes ayant souffert d'une valvulopathie suite à la prise du Mediator pendant plusieurs années.

Plusieurs procédures sont actuellement pendantes devant les juridictions pénales à Paris et à Nanterre dans l'affaire du Mediator4.

La réparation du préjudice d'anxiété dans l'affaire du Mediator

Entre mai et septembre 2015, 50 personnes ayant ingéré du Mediator au cours de leur vie ont saisi le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre en référé demandant la réparation de leur préjudice d'anxiété.

Jusqu'à présent, ces demandeurs n'ont développé aucune maladie en relation avec l'absorption du Mediator. Ils considèrent néanmoins que la crainte de développer, un jour, une telle maladie affecte quotidiennement leur vie. Chaque demandeur a demandé 15.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété.

Le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre a octroyé une indemnisation de 1.500 euros à 12 des 50 demandeurs, à titre de provision5. Le Président a considéré que ces demandeurs avaient souffert d'un préjudice d'anxiété, dans la mesure où ils ont dû se soumettre à un suivi médical contraignant dans les deux années suivant l'arrêt de la prescription du médicament, et qu'ils doivent désormais vivre avec la crainte de développer la maladie. Pour ces patients, le Président a précisé que « le suivi médical décrit et les symptômes évoqués ont nécessairement généré chez ce[s] patient[s] une inquiétude permanente en lien avec l'exposition au médicament, à tout le moins pendant deux années après la fin du traitement et même depuis ».

Le Président n'a pas fait droit aux demandes des 38 autres demandeurs, relevant qu'ils n'avaient pas été obligés de subir un tel suivi médical suite à l'arrêt de la prise du médicament et qu'ils n'étaient pas en mesure de démontrer que leur crainte de développer une maladie était réelle. Ainsi, il a considéré qu'il existait une contestation sérieuse, ne permettant pas l'allocation d'une provision. Ces demandeurs peuvent naturellement interjeter appel de ce jugement.

La réparation du préjudice d'anxiété en droit français

En droit français, le préjudice d'anxiété a été reconnu pour la première fois le 11 mai 20106 pour des individus exposés à l'amiante. La Cour de cassation a considéré que la seule exposition à l'amiante entraînait un préjudice d'anxiété du fait de la crainte de développer une maladie liée à l'amiante. Dans cette décision, la Cour de cassation a pris en compte le fait que les demandeurs ont dû se soumettre à un suivi médical strict durant les années suivant l'exposition et a défini le préjudice d'anxiété comme : « une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie ».

Le 4 décembre 20127, la Cour de cassation a franchi une étape supplémentaire, accordant une réparation au titre du préjudice d'anxiété subi par des demandeurs qui avaient été exposés à l'amiante, en raison de leur seule crainte de développer une maladie, quand bien même ces derniers n'ont pas eu à subir un suivi médical contraignant suite à l'exposition.

Le 2 juillet 20148, la Cour de cassation a reconnu le préjudice d'anxiété à des individus craignant de développer une maladie cancérigène après l'exposition au diéthylstilbestrol (DES)9 pendant leur vie in utero, leurs mères ayant ingéré ce médicament pendant la grossesse.

Perspectives

Les jugements rendus par le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre le 28 janvier 2016 dans l'affaire du Mediator vont dans le droit fil de la jurisprudence récente de la Cour de cassation relative à la réparation du préjudice d'anxiété et ouvre la voie à l'indemnisation à de nombreuses personnes ayant ingéré du Mediator durant ces dernières années.

En effet, près de 5 millions de personnes ont ingéré du Mediator entre 1976 et 2009. Un rapport d'expertise a montré que le Mediator pourrait être la cause d'environ 2.100 décès en France. Jusqu'à présent, le laboratoire Servier nie toute responsabilité mais a annoncé qu'il avait d'ores et déjà provisionné une somme de 70 millions d'euros pour indemniser les victimes du Mediator10.

Si la reconnaissance du préjudice d'anxiété semble acquise aujourd'hui par la jurisprudence, les défendeurs à de telles actions devront veiller à un strict contrôle de la preuve de ce préjudice d'anxiété et de la justification du montant des dommages et intérêts qui pourront être alloués, la Cour de cassation ayant rappelé dans les jugements commentés que : « l'existence même faible du risque et la connaissance de celui-ci en lien avec l'exposition au médicament Mediator ne les [les demandeurs] exonèrent pas de démontrer la réalité d'un préjudice moral d'anxiété en lien avec cette exposition ».

Footnotes

[1] Tribunal de grande instance de Nanterre, Chambre des référés, 28 janvier 2016, RG n°15/01586, 15/01582, 15/01743.

[2] MF. Steinlé-Feuerbach, « La défectuosité du Mediator judiciairement reconnu », Le journal des accidents et des catastrophes, Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (EA n°3992).

[3] Tribunal de grande instance de Nanterre, Civ. 2., 22 octobre 2015, RG n° 12/07723.

[4] MF. Steinlé-Feuerbach, op. cit., note 2.

[5] Tribunal de grande instance de Nanterre, Chambre des référés, 28 janvier 2016, RG n°15/01586, 15/01582, 15/01743 ; Les Echos, 28 Janvier 2016 : « Mediator : le préjudice d'anxiété reconnu pour la première fois pour 12 consommateurs » ; FranceTVinfo, 28 Janvier 2016 : « Mediator : le préjudice d'anxiété reconnu pour la première fois par la justice » ; Le Figaro 28 Janvier 2016 : « Mediator : le préjudice d'anxiété reconnu pour 12 patients ».

[6] Cour de cassation, Chambre sociale, 11 mai 2010, n°09-42.241.

[7] Cour de cassation, Chambre sociale, 4 décembre 2012, n°11-26.294.

[8] Cour de cassation, Civ. 2., 2 juillet 2014, n°10-19.206.

[9] Dans les années 1970, il a été démontré que le DES avait causé des maladies cancérigènes à des individus ayant été exposés à ce médicament in utero.

[10] Le Monde, 22 octobre 2015, « Mediator : la responsabilité civile des laboratoires Servier reconnue pour la première fois ».

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