Dans le contexte des récents évènements terroristes et l'attention portée par les media aux comportements et expressions des extrémismes religieux en France, la question de la nécessité d'encadrer l'expression d'une croyance religieuse en entreprise quelle qu'elle soit se pose de plus en plus fréquemment. Les employeurs s'accorderont sur le fait que le lieu de travail ne peut être l'endroit où les tensions religieuses s'expriment. Toutefois, jusqu'à récemment, les employeurs avaient peu de guides pratiques sur comment imposer des restrictions sur l'expression de nature religieuse, voire de clarté sur la légalité de telles restrictions. Deux décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) du 14 mars 2017 et un guide pratique du Ministère du Travail apportent plusieurs réponses utiles que nous rappelons ci-dessous.

Des principes qui s'opposent

Les salariés bénéficient de droits fondamentaux qui doivent être protégés : la liberté de croire, la liberté d'exprimer leurs croyances, le droit de ne pas être discriminé, directement ou indirectement en raison de leur religion et le droit à une égalité de traitement. Les employeurs ont quant à eux le droit d'entreprendre et le droit d'organiser le fonctionnement de l'entreprise et de contrôler raisonnablement l'activité des salaries. Dans les services publics uniquement, le principe de laïcité permet de limiter le droit des fonctionnaires d'exprimer leurs croyances au travail. Dans le secteur privé, la loi Travail d'août 2016 a introduit le principe de neutralité.

Ainsi, le ministère du travail a récemment publié un guide pratique du fait religieux sous forme de questions réponses. Bien que ce guide n'ait pas d'autorité légale et ne contienne aucune sanction, il s'agit d'un document novateur interprétant le principe légal de neutralité et démontrant la sensibilité du fait religieux en entreprise.

Le principe directeur, la religion d'un salarié ne peut jamais être invoquée pour légalement justifier une différence de traitement. Aussi, pour interdire, encadrer, sanctionner des comportements en lien avec la religion, l'employeur aura toujours la délicate tâche de devoir trouver des fondements autres.

Exemples pratiques et solutions du Ministère

Le guide pratique du Ministère du Travail présente quelques illustrations utiles.

Sanctionner. L'employeur pourra sanctionner le salarié qui refuse de saluer sa collègue parce qu'elle est une femme pour un motif religieux. C'est un comportement sexiste prohibé par le Code du travail.

Hygiène et Sécurité. L'employeur peut interdire le port de la kippa, du voile, d'un turban sikh si cette interdiction est justifiée par un intérêt autre tel que le respect des règles d'hygiène dans le milieu médical, dans une usine ou une cuisine ; ou le respect des règles de sécurité quand le port d'un casque de chantier est obligatoire. L'employeur a une obligation de sécurité à l'égard de ses salariés, aussi en période de ramadan par exemple, l'employeur peut voire même doit retirer de son poste un salarié qui jeune pendant le ramadan et qui pourrait se mettre en danger (ex. grutier). Le guide pratique du ministère suggère même dans cet exemple que l'employeur aurait alors le droit de ne pas payer le salarié pendant les journées non travaillées de « retrait ». En pratique cette suggestion présente des risques évidents et devra être analysée au préalable. L'employeur devra prouver que le jeun du salarié le mettait en danger et les autres.

Conges. L'employeur n'a pas l'obligation d'accorder un jour de congé au salarié qui veut s'absenter pour une fête religieuse, en revanche le refus de l'employeur doit reposer sur des raisons objectives liées au fonctionnement de la société.

La neutralité en matière religieuse - Ce que les employeurs peuvent faire

La Loi Travail a introduit le principe de neutralité, soit l'équivalent du principe de laïcité appliqué aux entreprises du secteur privé. L'employeur a désormais la faculté d'introduire dans le règlement intérieur des dispositions instaurant une neutralité au sein de l'entreprise qui conduit à limiter l'expression des convictions personnelles, notamment religieuses des salariés. Cependant, cette possibilité n'est pas absolue. Le principe de neutralité ne peut être inscrit dans le règlement intérieur que s'il est justifié par la nature de la tâche à accomplir, les nécessités tirés du bon fonctionnement de l'entreprise, ou l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux et s'il est proportionné au but recherché.

Les employeurs qui entendent mettre en place de nouvelles normes en entreprise doivent se concerter avec les syndicats et autres représentants du personnel, car la question du fait religieux touche aux conditions de travail, à l'organisation du travail, aux règles d'hygiène et de sécurité, lesquels relèvent de leurs compétences.

Consécration du principe de neutralité par la CJUE

La CJUE avait été saisie de la question préjudicielle suivante : un employeur peut-il interdire le port du voile à une salariée en contact avec la clientèle au motif que la clientèle en a fait la demande (affaire française) ou par principe à tous les salariés (affaire belge)?

La CJUE a rendu ses décisions rappelées dans un communiqué de presse le 14 mars dernier: une règle interne d'une entreprise interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux est justifié et non discriminatoire en soit. En revanche, en l'absence d'une tel règlement intérieur énonçant le principe de neutralité, l'employeur ne peut tenir compte des souhaits du client comme une obligation professionnelle pour sanctionner une salariée - une telle mesure est discriminatoire.

La décision de la CJUE devrait inciter les employeurs à introduire sans tarder le principe de neutralité dans leur règlement intérieur pour limiter les contentieux, en veillant notamment à ce que toute discrimination indirecte éventuelle soit justifiée par un objectif légitime et appliqué de manière cohérente et systématique.

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