Avec une augmentation des dénonciations de 61% du harcèlement sexuel au Québec dans les trois mois suivant le début du mouvement #MoiAussi en octobre 2017, la culture du silence s'essouffle petit à petit conduisant alors à une hausse des réclamations liées à de tels faits.

Force est de constater que le rythme auquel les mentalités évoluent sur la question est impressionnant. Certains commentaires encore acceptables il y a un an ne passent plus du tout aujourd'hui.

Jusqu'où irons-nous? L'action collective deviendra-t-elle un véhicule procédural approprié pour les victimes d'harcèlement ou d'agression sexuelle contre leur agresseur? Les Courageuses parviendront-elles à établir un modus operandi de la part de Gilbert Rozon? À quoi s'exposent réellement les administrateurs et dirigeants d'entreprise visés par des scandales à caractère sexuel? L'action dérivée contre Nike servira-t-elle d'exemple pour enrayer la création de « boys' club » au sein des entreprises?

Un an après que le mouvement de dénonciation #MoiAussi ait pris son envol, les statistiques confirment que le nombre de dénonciations a considérablement augmenté, les questionnements sur le plan juridique continuent de se multiplier, et le secteur de l'assurance se sent directement interpellé.

En effet, nous avons vu au Québec le nombre de dénonciations à la police bondir de 61% dans les trois mois suivant le début du mouvement. Aux États-Unis, un assureur majeur a rapporté une hausse de 50% des réclamations en matière de harcèlement ou d'inconduite sexuelle, et ce depuis octobre 2017.

Il y a fort à parier que la tendance se poursuivra. Dans un récent sondage paru dans l'Actualité, 80% des hommes et des femmes ont indiqué être aujourd'hui plus portés à dénoncer un incident de harcèlement sexuel dont ils sont témoins, alors qu'auparavant, plusieurs considéraient qu'il valait peut-être mieux « ne pas s'en mêler ».

Une situation de harcèlement ou d'inconduite sexuelle peut aujourd'hui rapidement mener à plusieurs recours judiciaires, lesquels évolueront parfois même de manière parallèle. Il arrive en effet que des enquêtes policières, menant à de potentielles poursuites criminelles, court-circuitent des enquêtes tenues par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, des enquêtes internes menées par des employeurs ou des enquêtes par la Commission des normes du travail. Dans le cas d'une inconduite survenant dans la relation professionnel/client, le syndic de l'ordre professionnel peut également être appelé à enquêter.

Nos tribunaux de droit commun voient naître des actions en responsabilité civile de victimes voulant être compensées monétairement pour les dommages qu'elles ont subis, et la décision de la Cour supérieure autorisant l'action collective dans l'affaire Rozon occupera la Cour d'appel dans les prochains mois.

Aux États-Unis, une action dérivée a récemment été instituée par les actionnaires de Nike suite au scandale touchant leurs propres administrateurs. Les actionnaires prétendent que la création d'un environnement de travail nocif par les administrateurs aurait mené à une perte de valeur de des actions de l'entreprise.

De telles réclamations visant un incident d'harcèlement ou d'inconduite sexuelle peuvent également déclencher plusieurs types de couverture d'assurance.

L'assurance pour les administrateurs et dirigeants (police A&D) est susceptible de s'appliquer peu importe qui est l'agresseur présumé. Les employeurs ont en effet l'obligation de procurer un climat de travail sein, de prévenir le harcèlement et d'intervenir pour le faire cesser lorsqu'il est porté à leur connaissance.

Les polices d'assurance en matière de pratique d'emploi (police Employment Practice Liability (EPL)) peuvent aussi potentiellement être déclenchées suite à une réclamation par un (e) employé(e). Il s'agit en fait du produit d'assurance le plus fréquemment déclenché pour ce type de réclamation.

À noter que ces produits sont habituellement déclenchés sur la base du moment de la réclamation, et non pas celui de l'événement. Puisqu'en cette matière on considère généralement que le traumatisme vécu par la victime puisse constituer en droit une « impossibilité d'agir » valable pour suspendre la prescription, les délais entre l'acte reproché et la réclamation peuvent s'avérer très longs.

La police d'assurance responsabilité générale est également susceptible de s'appliquer, comme lorsqu'on pense au cas des parents poursuivis pour une inconduite de leur enfant.

Quant aux exclusions susceptibles de s'appliquer, pensons à la faute intentionnelle de l'agresseur, à l'acte criminel, à la connaissance antérieure, ou même à l'applicabilité de l'exclusion pour préjudice corporel. Il peut aussi exister des exclusions « assuré-contre-assuré », dans le cas où il y aurait une demande reconventionnelle pour atteinte à la réputation par la personne visée par les allégations.

Dans tous les cas, il est pertinent d'un point de vue de la souscription d'assurance de vérifier l'existence d'une politique adoptée par l'entreprise visant la prévention et le traitement du harcèlement, et de s'assurer que ces politiques ont été mises à jour récemment avant d'accepter de souscrire certains risques.

D'ailleurs, l'obligation pour les entreprises d'avoir une telle politique entre en vigueur dès le 1e janvier 2019. Elle devra traiter de la prévention du harcèlement et prévoir un mécanisme de traitement des plaintes afin de s'assurer d'instaurer un climat de confiance permettant aux employés de dénoncer les situations d'abus.

On souhaitera également éviter les dénonciations sur les réseaux sociaux plutôt qu'à l'interne, et une bonne politique de gestion des réseaux sociaux et des relations publiques est primordiale afin de sensibiliser les employés à leur devoir de loyauté envers leur employeur et ce, même à l'extérieur du bureau.

Force est de constater que le rythme auquel les mentalités évoluent sur la question est impressionnant. Certains commentaires encore acceptables il y a un an ne passent plus du tout aujourd'hui. Cette évolution va sans aucun doute se faire ressentir dans la réflexion des juges et se refléter dans la jurisprudence à venir. Ce mouvement porté principalement par et pour des femmes aura certainement un impact sur les mentalités en matière de harcèlement psychologique, et non pas seulement en matière d'incidents à caractère sexuel. Les abus d'autorité de toute forme risquent d'être dénoncés plus fréquemment et, à cet égard, les femmes en position d'autorité ne sont pas à l'abri.

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