Procédure pénale

La première convention judiciaire d'intérêt public, conclue entre le Parquet national financier et la banque HSBC Private Bank Suisse le 30 octobre 2017, puis validée par le président du tribunal de grande instance de Paris le 14 novembre 2017, a été saluée avec insistance dans les médias. - Il est vrai que des espoirs élevés ont été placés dans ce nouvel instrument de transaction pénale introduit dans le Code de procédure pénale par la loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016, sur le modèle en particulier du deferred prosecution agreement du droit américain. - Pourtant, cette première convention judiciaire d'intérêt public est particulière à plusieurs égards

Sommaire

La première convention judiciaire d'intérêt public, conclue entre le Parquet national financier (PNF) et la banque HSBC Private Bank Suisse (HSBC) le 30 octobre 2017, puis validée par le président du tribunal de grande instance de Paris le 14 novembre 2017, a été saluée avec insistance dans les médias. Il est vrai que des espoirs élevés ont été placés dans ce nouvel instrument introduit dans le Code de procédure pénale par la loi « Sapin 2 » n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (JCP G 2017, act. 3, Aperçu rapide J.-M. Brigant), sur le modèle en particulier du deferred prosecution agreement du droit américain. Le problème du droit français est connu. Le procès pénal a échoué dans la répression de la corruption internationale et, plus largement, de la délinquance économique et financière des entreprises mondialisées. Il est particulièrement édifiant que jamais une entreprise n'ait été condamnée définitivement du chef de corruption d'agent public étranger par la justice pénale française, depuis que ce délit a été introduit en droit français par la loi n° 2000-595 du 30 juin 2000. Cette situation, régulièrement dénoncée par plusieurs organisations internationales et non gouvernementales, a créé les conditions favorables à l'application extraterritoriale de certaines lois américaines, en particulier du Foreign Corrupt Practices Act, à l'égard des entreprises françaises : Alcatel-Lucent, Technip, Total, Alstom, pour ne mentionner qu'elles, ont été sanctionnées par les autorités judiciaires américaines, pour des montants parfois très importants, au moyen précisément de deferred prosecution agreements. Pour éviter que d'autres entreprises françaises ne connaissent le même sort à l'avenir, il convenait que le juge pénal français pût disposer d'un instrument de transaction pénale équivalent. Telle est l'origine, pragmatique, de la « convention judiciaire d'intérêt public » (CJIP), ainsi dénommée au terme de plusieurs variations terminologiques, que le procureur de la République peut désormais proposer à une personne morale mise en cause pour des faits de corruption, de trafic d'influence ou de blanchiment de fraude fiscale, avant la mise en mouvement de l'action publique (V. D. Rebut, Les entreprises au service de la lutte contre la corruption : commentaires des mesures anticorruption de la loi Sapin 2 : BJB 2017, p. 48, spéc. n° 14 et s.).

Ses deux caractéristiques essentielles sont liées. Elle est une convention, ce qui la distingue des transactions pénales déjà connues du droit français, en matière de douanes et de consommation notamment. Parce qu'elle est une convention, elle n'emporte pas reconnaissance de culpabilité pénale, ce qui la distingue en particulier de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), également accessible aux personnes morales. Cette seconde caractéristique, qui place les entreprises mises en cause à l'abri des conséquences automatiques d'une reconnaissance de culpabilité, doit les inciter à entrer en négociations avec le procureur de la République et permettre à ce dernier de proposer à leur encontre une « amende d'intérêt public » d'un montant élevé (V. A. Mignon-Colombet, La convention judiciaire d'intérêt public : vers une justice de coopération ?: AJ pénal 2017, p. 68). Au fond, tel est l'enjeu de la CJIP. Elle doit permettre d'asseoir la crédibilité internationale de la justice pénale française dans la répression de la délinquance économique et financière des entreprises mondialisées et, ce faisant, restaurer la souveraineté de notre pays dans ce domaine. On veut en particulier espérer que les autorités judiciaires étrangères les plus actives en la matière, américaines et anglaises, auront désormais des raisons de décliner leur compétence à l'égard des entreprises françaises ou des entreprises étrangères mises en cause pour des faits commis sur le territoire français, comme cela s'est vu en deux occasions déjà aux Pays-Bas dans les affaires SBM Offshore et VimpelCom.

Porteuse de cet espoir, la première CJIP se devait d'être tout à la fois rapidement conclue, d'un montant important et soumise à une large publicité. Elle n'a manqué à aucune de ces exigences.

La convention conclue entre le PNF et HSBC l'a été dès le 30 octobre 2017, c'est-à-dire six mois seulement après l'entrée en vigueur du décret n° 2017-660du 27 avril 2017 relatif à la CJIP, pris pour l'application de la loi « Sapin 2 ». Ceci supposait que la conclusion d'une CJIP soit également possible lorsqu'une information judiciaire a déjà été ouverte pour des faits qualifiés de corruption, de trafic d'influence ou de blanchiment de fraude fiscale, ce qu'a prévu le nouvel article 180-2 du Code de procédure pénale, avec l'appui notamment du PNF. De la sorte, au moins deux informations judiciaires, ouvertes l'une et l'autre des chefs de blanchiment de fraude fiscale et de démarchage bancaire et financier illicite, se trouvaient aussitôt disponibles pour inaugurer la procédure de CJIP. L'une visait UBS mais n'aboutissait pas à la conclusion d'une convention, faute d'accord sur le montant de l'amende envisagée. L'autre concernait HSBC et permettait la conclusion de la première CJIP.

La somme mise à la charge d'HSBC, d'un montant de 300 millions d'euros, a suscité la controverse. Il est vrai que le communiqué de presse publié par le PNF dès le 14 novembre 2017 l'avait mise maladroitement en rapport avec la somme des avoirs soustraits à l'impôt en France, d'un montant de 1,6 milliards d'euros (laquelle somme ne pouvait être due à l'administration fiscale). Le texte de la CJIP conclue, ultérieurement publié sur le site de l'Agence française anticorruption (AFA), montre que « l'amende d'intérêt public » se compose de deux éléments : une première somme d'un montant de 86,4 millions d'euros, due à titre de restitution des profits tirés des faits reconnus, et une seconde somme d'un montant de 71,6 millions d'euros, due à titre de pénalité complémentaire à raison de la coopération minimale d'HSBC, de la gravité des faits reconnus et de leur caractère habituel ; auxquelles s'ajoute, par ailleurs, une troisième somme d'un montant de 142 millions d'euros correspondant aux dommages et intérêts réclamés par l'administration fiscale en tant que victime des faits reconnus. Ainsi composée, l'amende d'intérêt public retenue à l'encontre d'HSBC se situe au plafond fixé par l'article 41-1-2 du Code de procédure pénale, selon lequel « le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements ». Cependant, son mode de calcul ne manque pas de surprendre. D'après les termes de la convention conclue, « il est justifié de fixer à [71,6 millions d'euros] le montant de la pénalité complémentaire, de sorte que le montant total de l'amende mise à la charge [d'HSBC] soit égal au maximum du montant de l'amende tel qu'encouru au regard de l'article 41-1-2 du Code de procédure pénale ». En d'autres termes, il fallait que la somme due à titre de pénalité complémentaire à raison de la coopération minimale d'HSBC, de la gravité des faits reconnus et de leur caractère habituel s'élevât à 71,6 millions d'euros pour atteindre le plafond légal de l'amende d'intérêt public (ce qui ne va pas sans interrogations, tant du point de vue de l'exigence d'individualisation des peines que de la sécurité juridique en général : faute de précision sur la notion de « coopération minimale », on pourrait notamment être tenté de croire que la possibilité supposément ouverte à l'entreprise mise en cause de négocier le montant de l'amende d'intérêt public n'existe pas). Par ailleurs, il convient de rappeler que l'amende pénale « ordinaire » qui aurait pu être prononcée à l'encontre d'HSBC pour ces faits à l'issue d'un procès, par nature long et aléatoire, se serait élevée au mieux à la moitié des avoirs soustraits à l'impôt, soit à la somme de 800 millions d'euros. Aussi doit-on considérer que l'amende d'intérêt public d'un montant de 300 millions d'euros retenue à l'encontre d'HSBC est élevée et non pas défavorable aux intérêts de l'État. Le reproche a même pu être fait au PNF de l'avoir trop souligné dans son communiqué de presse, en énonçant que la somme « abondera le budget général de l'État français » (D. Rebut, La CJIP au service du budget de l'État : JCP G 2017, doctr. 1297, Mot de la semaine). La critique est fondée : le procureur de la République n'est pas receveur des impôts et son indépendance à l'égard du pouvoir exécutif doit être préservée. Mais elle perd en intensité en présence de faits de blanchiment de fraude fiscale commis au préjudice de l'administration fiscale, comme en l'espèce, et également si l'on veut se souvenir que plusieurs amendes retenues contre des entreprises françaises dans un contexte comparable ont abondé le budget de l'État américain.

Enfin, la CJIP conclue entre le PNF et HSBC a été soumise à une large publicité, au-delà même des exigences de l'article 41-1-2 du Code de procédure pénale selon lequel : « elle fait l'objet d'un communiqué de presse du procureur de la République » ; « l'ordonnance de validation, le montant de l'amende d'intérêt public et la convention sont publiés sur le site de l'AFA ». Sitôt validée par le président du tribunal de grande instance de Paris, la convention a fait l'objet d'un communiqué de presse du PNF, diffusé sur le compte twitter de ce dernier, sans attendre l'expiration du délai de rétractation de dix jours ouvert à HSBC par la loi. Plus prudemment, l'AFA a attendu le terme de ce délai pour publier sur son site internet l'ordonnance de validation et le texte de la convention. Il est remarquable que ce dernier texte ait été publié d'abord en français, puis dans une traduction en langue anglaise à laquelle aucun texte n'obligeait, à l'intention en particulier des autorités de poursuites étrangères.

Sous ces aspects, la première CJIP a donc tenu ses promesses.

 Elle n'en reste pas moins une première particulière à plusieurs égards, qui laisse certaines questions importantes sans réponses.

Particulière, la CJIP conclue entre le PNF et HSBC l'est d'abord à raison de son domaine d'application. L'histoire retiendra que la première CJIP a été conclue pour des faits qualifiés, non de corruption ou de trafic d'influence, mais de blanchiment de fraude fiscale et de démarchage bancaire et financier illicite, envisagé à titre connexe. Cette possibilité n'avait rien d'évidente. Elle n'a été introduite que tardivement, en cours de débats parlementaires, en considération notamment des informations judiciaires pendantes de ces chefs au PNF. Cette extension tardive est source d'incohérences. Elle se manifeste d'abord dans une incongruité : la première CJIP publiée sur le site internet de l'AFA est sans rapport avec des faits de corruption ou de trafic d'influence. Elle explique ensuite que le PNF n'ait pas pu soumettre HSBC à la mise en oeuvre d'un programme de conformité sous le contrôle de l'AFA, ainsi que le permet pourtant l'article 41-1-2 du Code de procédure pénale : le programme de conformité a été conçu par la loi « Sapin 2 » pour favoriser la détection et la prévention des faits de corruption et de trafic d'influence, non de blanchiment de fraude fiscale. Dans l'immédiat, la conséquence est une mise en concurrence de la procédure de CJIP avec le pouvoir de transaction dont dispose l'administration fiscale, qui n'a peut-être pas été suffisamment mesurée. À plus long terme, il faudra réfléchir à améliorer cette articulation défectueuse, notamment si le domaine d'application de la procédure de CJIP est étendu à de nouvelles infractions, comme cela a été le cas de la procédure de composition administrative devant l'Autorité des marchés financiers (AMF) et comme le souhaiterait dès à présent le PNF, semble-t-il.

Particulière, la CJIP conclue entre le PNF et HSBC l'est ensuite à raison de l'existence d'une information judiciaire préalablement ouverte à l'encontre d'HSBC.

En pareille situation, l'article 180-2 du Code de procédure pénale subordonne l'ouverture de la procédure de CJIP à la condition « que la personne morale mise en cause [reconnaisse] les faits et qu'elle accepte la qualification pénale retenue » - condition en l'espèce satisfaite dans le texte de la convention, puis constatée dans l'ordonnance de la validation. Le bénéfice de la procédure est alors moins évident pour l'entreprise mise en cause : la reconnaissance des faits et l'acceptation de leur qualification pénale, si elles ne valent pas formellement reconnaissance de culpabilité, s'en rapprochent néanmoins. Cette particularité est peut-être à mettre en lien avec la circonstance, par ailleurs relevée par le communiqué de presse du PNF, que la société-mère d'HSBC ait bénéficié en parallèle d'une ordonnance de non-lieu à poursuites. À moins qu'il ne s'agisse pour le PNF de faire ainsi connaître aux entreprises mises en cause pour des faits de corruption, de trafic d'influence ou de blanchiment de fraude fiscale qu'il est disposé en tout état de cause à renoncer aux poursuites à l'égard de leurs sociétés-mères, afin de les inciter à entrer en négociations avec le procureur de la République pour la conclusion d'une CJIP.

Surtout, l'existence d'une information judiciaire préalablement ouverte à l'encontre d'HSBC dès 2013, à une époque où la possibilité de conclure une CJIP n'existait pas, ne permet pas de renseigner avec certitude sur les critères d'ouverture de la procédure de CJIP avant la mise en mouvement de l'action publique, en cours d'enquête préliminaire, qui ne sont précisés ni par la loi « Sapin 2 » ni par le décret pris pour son application, à la différence de certains droits étrangers. Le texte de la convention le concède lui-même : « [HSBC], qui n'a pas révélé les faits aux autorités judiciaires françaises ni reconnu sa responsabilité pénale durant l'information judiciaire (sic), a apporté une coopération minimale aux investigations. Toutefois, il convient de retenir qu'à la date d'ouverture de l'enquête et jusqu'en décembre 2016, il n'existait pas en France de dispositif légal encourageant une pleine coopération ». Cette rédaction ne renseigne qu'en creux sur ce que pourraient être les critères d'ouverture de la procédure de CJIP avant la mise en mouvement de l'action publique : la gravité des faits et leur caractère habituel, la révélation spontanée de ces faits aux autorités judiciaires et la coopération aux investigations ; à l'exception peut-être de « la reconnaissance de sa responsabilité pénale durant l'information judiciaire », qui pourrait en revanche constituer une erreur de plume tant elle semble contredire le principe même de la CJIP (sauf à devoir constituer une référence au § 8 C 2.5 (g) du United States Sentencing Commission Guidelines Manual 2016 qui fait de l'acceptation de sa responsabilité par l'entreprise mise en cause (acceptance of responsibility) un facteur de réduction de son score de culpabilité (culpability score)). Sans surprise, ces critères seraient alors proches de ceux explicitement retenus par les droits américain et anglais, respectivement par les Principles of Federal Prosecution of Business Organizations (United States Attorneys' Manual, Principles of Federal Prosecution of Business Organizations, Chapter 9-28.000) et le Deferred Prosecution Agreements Code of Practice (Deferred Prosecution Agreements Code of Practice, Crime and courts Act 2013, § 2.8.2), pour l'ouverture d'une procédure de deferred prosecution agreement.

Semblablement, la portée juridique des mesures de mise en conformité adoptées par HSBC avant la conclusion de la CJIP ne peut être dégagée. Certes, ces mesures sont énumérées dans « l'exposé des faits » contenu dans la convention, puis leur existence constatée par l'ordonnance de validation : par exemple, le fait d'avoir « mis en place des standards robustes relatifs à la criminalité financière, et à la transparence fiscale, et avoir renforcé la mise en oeuvre de ces règles grâce à des équipes de conformité dans le monde entier ». Mais leur portée juridique n'apparaît pas (en droit de la concurrence, l'Autorité de la concurrence a précisé qu'il « n'y a pas lieu de considérer que le fait d'avoir mis en place un programme de conformité constitue en tant que tel une circonstance atténuante » : Autorité de la concurrence, document-cadre, 10 févr. 2012, sur les programmes de conformité au regard des règles de concurrence, § 25)). Il est vrai que le projet de loi « Sapin 2 » prévoyait la prise en compte de ces mesures dans la détermination de la peine prononcée à l'encontre des personnes reconnues coupables de faits de corruption ou de trafic d'influence et que le Conseil d'État a repoussé cette prévision, au motif que la prise en compte de tels éléments relevait en tout état de cause de la mission du juge pénal dans le cadre de l'exigence d'individualisation des peines (CE, avis, 30 mars 2016, n°

391, § 14). Mais on ne peut manquer de relever que cette question est au contraire explicitement réglée par les droits américain et anglais, pour lesquels l'existence d'un programme de conformité effectif (effective compliance program) ou de procédures adéquates (adequate procedures) constitue respectivement un facteur de réduction du score de culpabilité (culpability score) de l'entreprise mise en cause (United States Sentencing Commission Guidelines Manual 2016, §8B2.1) ou une défense (defence) lui permettant de combattre l'infraction de failure to prevent corruption (Bribery Act 2010, Chapter 23, §7(2)).

Ces différentes particularités expliquent enfin que l'ordonnance de validation, quoique présentée comme essentielle dans le dispositif français pour contrôler notamment « le bien-fondé du recours » à la procédure de CJIP, soit en l'espèce réduite à une motivation succincte qui se contente de satisfaire aux mentions exigées par la loi et le décret, avant de conclure : « il apparaît que la CJIP est pleinement justifiée dans son principe et son montant. Il convient donc de la valider ».

Bref, en dépit d'une première CJIP importante et même nécessaire, il reste encore à préciser le régime juridique de cet instrument nouveau dans lequel ont été placés des espoirs élevés.

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