Le Parlement fédéral a adopté la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (la « Loi ») le 21 juin 2018 en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre à l'échelle nationale. La Loi met en Suvre le système fédéral de tarification de la pollution par le carbone, qui impose une redevance réglementaire aux producteurs, distributeurs et importateurs de carburants à base de carbone et qui comprend par ailleurs un mécanisme au moyen duquel les émetteurs industriels de carbone peuvent échanger des « crédits » par l'intermédiaire du système de tarification fondé sur le rendement (le « STFR »). Aux termes du STFR, certains émetteurs de carbone sont tenus de payer le prix du carbone correspondant à leurs émissions qui excèdent le niveau stipulé, tandis que les émetteurs de carbone dont les émissions sont inférieures à la quantité établie par le gouvernement fédéral gagnent des crédits qui peuvent être vendus à d'autres émetteurs de carbone.

Après la mise en Suvre de la Loi, la Chambre des communes a adopté une motion visant à déclarer l'urgence climatique au Canada en juin 2019, afin de signifier l'engagement du Canada à atteindre sa cible d'émission nationale aux termes de l'Accord de Paris, à savoir la réduction d'ici 2030 de ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % comparativement aux niveaux de 2005.1

Plusieurs provinces ont contesté la Loi presque immédiatement :

  • Le Manitoba a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale du Canada.
  • L'Alberta a présenté un renvoi portant sur la constitutionnalité devant la Cour d'appel de la province.
  • L'Ontario et la Saskatchewan ont également contesté la constitutionnalité de la loi devant leurs cours d'appel respectives.

Les décisions rendues par les cours de l'Ontario, de la Saskatchewan et de l'Alberta font désormais l'objet d'un appel interjeté devant la Cour suprême du Canada (la « CSC »).

Le rejet provincial de la Loi est axé sur la position du gouvernement fédéral voulant que la Loi traite d'une question d'intérêt national et, par conséquent, relève de la compétence du gouvernement fédéral en application des dispositions sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada mentionnées à l'art. 91 de la Loi constitutionnelle.2

Le pouvoir du gouvernement fédéral de s'en remettre à l'intérêt national est décrit dans R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd. (« Zellerbach »). Dans cette affaire, la CSC a décidé que les conclusions suivantes s'appliquaient à la théorie de l'intérêt national :

  • la théorie de l'intérêt national est séparée et distincte de la théorie de la situation d'urgence nationale, qui offre un fondement constitutionnel à une mesure législative provisoire;
  • la théorie de l'intérêt national s'applique à une matière qui, bien qu'elle fut à l'origine de nature locale ou privée, est depuis devenue une matière d'intérêt national;
  • pour pouvoir dire qu'une matière est d'intérêt national, elle doit avoir une unicité, une particularité et une indivisibilité qui la distinguent clairement des matières et des effets d'intérêt provincial;
  • il est utile d'examiner les effets extraprovinciaux de l'omission d'une province de s'occuper efficacement du contrôle ou de la réglementation de cette matière, afin d'établir le degré requis d'unicité, de particularité et d'indivisibilité qui la distingue clairement des matières d'intérêt provincial;
  • la matière doit avoir un effet sur la compétence provinciale qui soit compatible avec le partage fondamental des pouvoirs législatifs effectué par la Constitution.3

Dans Zellerbach, la Cour a conclu que la pollution des mers était une question d'intérêt national pour le Canada tout entier qui nécessitait un contrôle fédéral. La conclusion en faveur du gouvernement fédéral dans cette affaire s'appuyait essentiellement sur le fait que la Loi sur l'immersion de déchets en mer (la « Loi sur les mers ») limitait la portée des pouvoirs de contrôle du gouvernement fédéral sur la pollution des mers. Les sources d'eau douce (qui étaient réputées relever de la compétence des provinces) ont été laissées hors du champ d'application de la Loi sur les mers.4 Finalement, dans Zellerbach, la Cour a décidé que la législation devait clairement distinguer la matière en cause des matières qui relèvent de la compétence des législatures provinciales afin de qualifier une matière comme étant d'intérêt national.

Le gouvernement fédéral a prétendu que le caractère véritable de la Loi était limité au traitement des dimensions cumulatives des émissions de gaz à effet de serre, qui ont une incidence inhérente sur le Canada au niveau national et qui, par conséquent, ne peuvent pas être suffisamment traitées par chacune des provinces. Par conséquent, la Loi est conforme à l'indice de l'intérêt national établi dans Zellerbach, pour ce qui est de son unicité et de sa particularité.

Devant leurs cours d'appel respectives, l'Ontario5 et la Saskatchewan6 ont prétendu que le mécanisme établi par la Loi était inconstitutionnel parce qu'il accordait au gouvernement fédéral le pouvoir d'empiéter sur les pouvoirs de réglementation provinciaux des matières liées aux biens et aux droits civils, en lui donnant le pouvoir de réglementer les opérations industrielles et commerciales dans les provinces.7

L'Ontario a prétendu en outre que les provinces avaient la capacité de limiter les émissions de gaz à effet de serre sans contrôle fédéral, comme l'atteste la baisse, en 2016, de près de 22 % des émissions de la province comparativement à leurs niveaux de 2005.8 Selon l'Ontario, la Loi représente une extension inutile de la portée de la compétence fédérale. Subsidiairement, la Saskatchewan a prétendu que les redevances imposées par la Loi étaient inconstitutionnelles puisqu'elles équivalaient à une forme d'imposition invalide.9

Les deux cours d'appel se sont finalement ralliées au gouvernement fédéral et ont affirmé que les émissions de gaz à effet de serre étaient une matière nouvelle et distincte, dont l'intérêt national nécessitait une législation fédérale.

En Ontario, la Cour a avancé l'argument que l'environnement est un domaine de responsabilité constitutionnelle partagée qui nécessite un effort équilibré de la part du gouvernement.10 La Cour a également avancé l'argument que le mécanisme tarifaire du carbone mis en Suvre dans la Loi laissait suffisamment de latitude aux provinces pour légiférer de manière concurrente. Comme elle est rédigée, la Loi sert de filet de sécurité qui offre aux provinces l'occasion de légiférer au-delà des normes minimales établies par le gouvernement fédéral.11

La Cour d'appel de la Saskatchewan a conclu que les redevances imposées par la Loi étaient légales parce qu'elles ne permettaient pas de générer des revenus à des fins générales (comme dans le cas d'un impôt ou d'une taxe), mais visaient plutôt à augmenter le prix de l'émission du carbone en vue de limiter les émissions de gaz à effet de serre.12

La Cour d'appel de l'Alberta, contrairement aux décisions rendues en Ontario et en Saskatchewan, a conclu que la Loi était inconstitutionnelle. La Cour a avancé l'argument que la Loi entraînerait un changement d'équilibre constitutionnel des pouvoirs faisant en sorte que le gouvernement fédéral aurait un impact direct sur les industries vitales pour la province comme la production de ressources naturelles et d'électricité.13 La Cour a mis en garde contre ce pouvoir étendu qui pourrait permettre au gouvernement fédéral d'avoir une portée illimitée sur d'autres territoires de compétence provinciaux à l'avenir.14

La CSC a entendu les appels des décisions de l'Ontario, de la Saskatchewan et de l'Alberta les 22 et 23 septembre 2020. Les provinces de la Colombie-Britannique, du Manitoba, du Nouveau-Brunswick et du Québec se sont jointes à l'instance en qualité d'intervenantes. La CSC doit prononcer son jugement après l'audition des appels, mais aucune décision n'a été rendue jusqu'à présent.

Nous continuerons à surveiller l'évolution de cette affaire et nous rédigerons un commentaire sur l'arrêt de la CSC dès qu'il sera rendu.

Footnotes

1. « Progrès vers la cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Canada », Environnement et Changement climatique Canada (janvier 2020)

2. Loi constitutionnelle de 1867.

3. 1988 CanLII 63 (CSC), paragr. 37 [Crown Zellerbach].

4. Ibid., paragr. 41.

5. Reference re Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, 2019 ONCA 544 [Ontario Reference].

6. Reference re Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, 2019 SKCA 40 [Saskatchewan Reference].

7. Ibid., paragr. 10.

8. Ontario Reference supra note 5, paragr. 55.

9. Saskatchewan Reference supra note 6, paragr. 50.

10. Ontario Reference supra note 5, paragr. 138.

11. Ibid., paragr. 136.

12. Ibid., paragr. 88.

13. Reference re Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, 2020 ABCA 74, paragr. 251 [Reference (Alberta)].

14. Ibid., paragr. 227.

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