Le secret professionnel avocat-client est en principe de nature constitutionnelle ou quasi constitutionnelle, protégé qu'il serait selon les circonstances, soit par la Charte canadienne des droits et libertés[1] soit par la Charte (québécoise) des droits et libertés de la personne[2]. Notre système juridique s'appuie sur le droit fondamental d'une personne de consulter son avocat en toute liberté, sans crainte que ses propos ne deviennent publics ou ne soient divulgués devant un tribunal (sauf exceptions dont nous ne traiterons pas ici). Le privilège appartient au client et seul celui-ci peut y renoncer, pourvu qu'une démonstration claire existe en ce sens.

Les organismes publics assujettis à la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et à la protection des renseignements personnels[3] (« Loi sur l'accès ») y ont aussi droit, et ce, de façon qui a préséance sur les exemptions limitées à l'encontre d'une communication résultant d'une demande d'accès.

1 décideur, 2 décisions, 2 résultats

La Commission d'accès à l'information du Québec (« CAI ») a récemment eu l'occasion de se pencher sur cette question, deux fois plutôt qu'une. Dans deux décisions rendues respectivement les 10 et 12 avril 2017, la CAI, par son commissaire Me Philippe Berthelet, s'est penchée sur le caractère public ou non des comptes d'honoraires des avocats retenus par un organisme public, plus particulièrement sur le montant des honoraires, y compris le montant global de ceux-ci. Deux dossiers, même commissaire, mais deux décisions différentes : logique? Nous faisons le constat d'entrée de jeu que même si les décisions traitent du droit des organismes publics à la protection des renseignements couverts par le secret professionnel avocat-client, ses ramifications et conséquences s'appliquent tout autant aux entreprises du secteur privé. C'est ce que nous tenterons de dégager.

Dans le premier dossier, L.P. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais[4],  la demande vise « ... tous les frais déboursés au bureau d'avocats Bastien, Moreau, Lepage dans le cadre des négociations des matières locales des conventions collectives... des trois syndicats de l'organisme... ». La CAI en vient à la conclusion que peut être rendue publique notamment la mention « Négociations locales et le montant correspondant aux honoraires totaux de ce service ».

Dans l'autre dossier, P.M. c. Loto-Québec[5], la CAI rejette la demande de révision du demandeur d'accès qui ultimement visait à obtenir l'accès aux sommes totales payées par Loto-Québec à un cabinet d'avocats dans le contexte de deux litiges civils (encore en cours devant la Cour supérieure au stade de la demande d'accès et même encore à ce moment au stade de l'appel).

Raisonnement adopté

Dans son analyse, la CAI adopte la même approche dans les deux dossiers. Pour qu'un renseignement  (en l'occurrence, le montant global des honoraires payés) soit considéré comme protégé par le secret professionnel avocat-client, il faut :

  1. Une communication entre un avocat et son client;
  2. Qui comporte une consultation ou l'obtention d'un avis juridique; et
  3. Que les parties estiment confidentielle.

Dans les deux dossiers, la CAI estime que les conditions 1) et 3) sont rencontrées. Quant au second critère, la CAI adopte la même approche analytique : il y a présomption de confidentialité, quitte à ce que le demandeur d'accès réfute cette présomption; c'est d'ailleurs son fardeau. Mais le demandeur peut s'acquitter de celui-ci sans nécessairement devoir administrer une preuve comme telle! Selon la CAI, cette démonstration peut se faire à l'aide d'arguments logiques tirés du dossier. Intéressant, mais potentiellement problématique : face à une preuve, la partie adverse peut tenter d'y répondre; face à un argument logique tiré par le tribunal, il est difficile de « deviner » ce qui est logique ou non aux yeux du tribunal... hormis la lecture de la décision. Mais il est alors trop tard pour y répondre ou pour administrer une preuve qui réfuterait cette perception toute logique qu'elle soit au point de départ.

Dans le dossier Loto-Québec, la CAI a conclu qu'il pourrait y avoir divulgation d'un élément protégé par le secret professionnel si le montant global des honoraires des dossiers en cours était divulgué. Sans doute que le fait qu'il s'agit de dossiers de litige et que ceux-ci étaient toujours en cours au moment de la demande d'accès y ont été pour quelque chose dans le résultat final. Les tribunaux sont habitués, voire plus enclins, à identifier et à protéger des communications entre un client et ses avocats dans le contexte de dossiers litigieux. Même le montant global des honoraires peut tomber sous l'ombrelle du privilège : les honoraires sont susceptibles de divulguer les efforts qu'un client est prêt à prendre, ou à ne pas prendre, dans la défense de ses intérêts. Donner accès aux comptes d'honoraires des avocats équivaudrait à permettre de déduire le niveau d'engagement de l'organisme face aux procédures entreprises. D'où la protection du secret professionnel.

Par contre, dans l'affaire du Centre de santé et de services sociaux de l'Outaouais (le « Centre »), la CAI n'arrive pas au même résultat. En vertu de la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic[6], les parties nationales ont le mandat de conclure des ententes à incidences financières et monétaires. Les parties régionales ont la responsabilité de négocier toute matière locale prévue à la Loi. Le Centre a confié le mandat à une firme d'avocats de l'assister dans les négociations des matières locales. Selon la CAI, les conseils de l'avocat sur de pures questions d'affaires ne seraient pas couverts par le secret professionnel avocat-client. Ce type de services ne serait pas couvert par l'article 128 de la Loi sur le Barreau[7], qui énonce les actes exclusifs de l'avocat. Une difficulté demeure : s'il est incontestable que ce ne sont pas tous les gestes posés par un avocat qui relèvent du champ de pratique de l'avocat et qui sont couverts par le secret professionnel, la Cour suprême du Canada a bel et bien souligné dans son arrêt Société d'énergie Foster Wheeler Ltée c. SIGED[8], que « [t]oute solution doit aussi prendre en compte l'évolution des professions juridiques que manifeste l'extension de leurs interventions dans des domaines qui dépassent largement ceux de la pratique traditionnelle des avocats » (para 33) et « [d]e plus, il faut demeurer conscient que la fonction de l'avocat et les conditions d'exercice de sa profession ont fortement évolué » (para 36).

Nous ne connaissons pas le détail des services rendus par le cabinet mandaté par le Centre, la décision de la CAI ne les décrit pas de façon spécifique (à juste titre d'ailleurs). Mais le résultat soulève des questionnements : des avocats pratiquent dans divers domaines du droit, pas seulement en litige. Souvent, leurs conseils stratégiques se situent aux confins du droit et du monde des affaires. Comment distinguer ce qui entre dans ce que la CAI qualifie de « pures questions d'affaires » - vs - celles qui ne le sont pas. Après tout, le client voudra faire converger ses intérêts d'affaires avec la réalité juridique. L'un ne va pas sans tenir compte de l'autre et ce qui distingue le bon conseil de l'excellent ne réside-t-il pas dans la connaissance que le conseiller juridique aura de la réalité d'affaires de son client? La protection du secret professionnel dépend-elle alors de la catégorie du droit dans laquelle les conseils seront dispensés? L'avocat impliqué dans un litige va donner ses conseils en fonction de la réalité d'affaires de son client; les services juridiques dispensés dans ce cadre risquent fort d'être protégés de divulgation, y compris quant aux montant d'honoraires. Le client de l'avocat, conseiller d'affaires, verra-t-il s'appliquer à lui une sphère de protection différente de celle de son collègue en litige?

Conclusion

Les deux décisions examinées ont été rendues dans le contexte d'application de la Loi sur l'accès. Mais ses implications débordent, selon nous, la sphère plus immédiate du droit d'accès aux comptes d'honoraires des avocats externes retenus par un organisme public.

L'arrêt Foster Wheeler nous invite à distinguer les services rendus par un avocat et la qualité en vertu de laquelle ils seront dispensés. Nous en convenons, mais il y a une différence entre les exemples utilisés par la Cour suprême du Canada pour appuyer son raisonnement dans l'affaire Foster Wheeler (ex. : l'avocat-fonctionnaire du gouvernement qui donne des conseils en matière de politique qui n'ont rien à voir avec sa formation ou son expertise juridiques mais font appel à ses connaissances du ministère concerné) par opposition à l'avocat qui conseille un employeur ou un investisseur en tenant compte de la réalité d'affaires de son client.

Revenant à une préoccupation exprimée ci-dessus quant à l'approche retenue de conclure à l'application (ou non) du secret professionnel à partir d'arguments logiques tirés du dossier (et pas nécessairement de la preuve administrée par témoins), nous sommes d'avis que la prudence est de mise. Avant de franchir ce pas, surtout en l'absence de preuve de la partie qui veut obtenir des renseignements qui pourraient être couverts par le secret professionnel, le tribunal devrait donner une occasion au bénéficiaire du secret professionnel de fournir ses observations sur cette « perception » du tribunal sur l'application (ou non) du privilège. Peut-être qu'un éclairage pourrait alors être apporté sur la nature véritable des services rendus par l'avocat, et ce, dans une perspective qui tient compte de l'évolution des professions juridiques. Cela permettra sans aucun doute au tribunal de bénéficier de la meilleure « preuve » possible pour décider en toute connaissance de cause si la situation commande une protection véritable du secret professionnel, et ce, en fonction de l'acte professionnel examiné plutôt qu'en fonction d'une catégorie du droit dans laquelle Suvre le conseiller juridique. Après tout, n'est-ce pas là l'essence d'une interprétation contextuelle et évolutive de la loi?

L'arrêt attendu de la Cour d'appel dans l'affaire Commission scolaire des Patriotes c. Quenneville,[9] apportera-t-il réponse à nos interrogations? Le jugement de la Cour supérieure dans cette affaire confirme la présomption de protection des comptes d'honoraires des avocats, sujet à preuve contraire. Mais l'intérêt des deux décisions récentes de la CAI et commentées dans le présent bulletin réside dans les  éléments à partir desquels le tribunal pourra inférer une telle preuve. À suivre...

Footnotes

[1] Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[2]Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.

3] RLRQ c A-2.1.

[4] 2017 QCCAI 78.

[5] 2017 QCCAI 77.

[6] RLRQ c R-8.2.

[7] RLRQ c B-1.

[8] [2004] 1 R.C.S. 456.

[9] 2015 QCCS 4598

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