La pandémie de COVID-19 qui fait rage actuellement soulève chez les employeurs de nombreuses questions en matière de santé et de sécurité du travail. L'une des situations à laquelle peuvent être confrontés les employeurs est celle d'un employé qui exerce un droit de refus en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail1 en raison de craintes liées à la COVID-19.

Le 1er décembre 2020, le médiateur-décideur Michelle Lescarbeau de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») a rendu une décision dans Laine et Recettes Cook it inc.2 qui apporte des éclairages intéressants sur le cadre juridique applicable en matière de droit de refus exercé pour des motifs liés à la COVID-19.

Les faits

Le 16 avril 2020, James Laine (ci-après, le « Travailleur ») a déposé une plainte en vertu de l'article 227 de la LSST alléguant avoir été congédié par Les recettes Cook It Inc. (ci-après, l'« Employeur ») le 15 avril 2020 parce qu'il a exercé un droit en vertu de la LSST, soit d'avoir refusé de travailler dans un réfrigérateur où il avait peur de contracter la COVID-19. Le Travailleur avait été embauché le 7 avril 2020 pour un poste de commis de production chez l'Employeur, une entreprise spécialisée dans la préparation et le montage de boîtes de repas à préparer.

La décision indique qu'en raison de la pandémie de COVID-19, les employés de l'Employeur devaient porter des équipements de protection, notamment des masques, des visières et des sarraus. Le 15 avril 2020, le Travailleur a été affecté au montage de boîtes dans un réfrigérateur. Selon son témoignage, il aurait constaté que les employés dans le réfrigérateur étaient entassés et ne respectaient pas la distance de deux mètres entre chaque personne. Il se serait alors senti en danger en raison de la possibilité de contracter la COVID-19. Selon le témoignage du Travailleur, certains de ses collègues retiraient leur masque et les visières portées s'embuaient. Il aurait alors informé son superviseur de son malaise et de son désir d'être affecté à un autre endroit où il y aurait moins de risques liés à la COVID-19. Il aurait alors été affecté par son superviseur à une autre équipe. Cependant, selon le Travailleur, une discussion aurait eu lieu entre son superviseur et l'assistante-superviseure en lien avec son départ du réfrigérateur, après quoi, ne voulant pas causer de problème entre les deux, il serait retourné dans le réfrigérateur et y aurait terminé son quart de travail tout en faisant attention.

L'Employeur a livré une toute autre version. Selon les représentants de l'Employeur ayant témoigné, à aucun moment ils n'auraient été informés de quelconques craintes du Travailleur en lien avec la COVID-19. Les représentants de l'Employeur ont plutôt rapporté que le Travailleur était insolent et remettait en question l'autorité. Ils ont témoigné à l'effet que le Travailleur aurait été en retard trois fois sur ses six quarts de travail effectués depuis son embauche. C'est ce fait qui aurait mené à la prise de la décision de le congédier. Dans le courriel de congédiement envoyé par l'Employeur au Travailleur, les motifs invoqués sont le refus du Travailleur de travailler dans le réfrigérateur et son comportement désagréable envers ses superviseurs. Cependant, à l'audience, une représentante de l'Employeur précise que le refus reproché au Travailleur est celui d'effectuer ses tâches et non un refus d'exécuter un travail en vertu de la LSST.

Le lendemain du congédiement, le Travailleur a déposé sa plainte en vertu de l'article 227 de la LSST. Peu de temps après cette plainte, un inspecteur de la CNESST a rendu visite à l'Employeur. Ce dernier aurait indiqué dans son rapport que les équipements de protection individuelle étaient fournis aux employés et aurait encouragé l'Employeur à poursuivre ses efforts de prévention.

Les principes

En vertu de la LSST, un travailleur a le droit de refuser d'exécuter un travail s'il a des motifs raisonnables de croire que l'exécution de ce travail l'expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l'effet d'exposer une autre personne à un semblable danger3. Cependant, un travailleur ne peut exercer ce droit si le refus d'exécuter ce travail met en péril immédiat la vie, la santé, la sécurité ou l'intégrité physique d'une autre personne ou si les conditions d'exécution de ce travail sont normales dans le genre de travail qu'il exerce4. De plus, lorsqu'un travailleur refuse d'exécuter un travail, il doit aussitôt en aviser son supérieur immédiat, l'employeur ou un représentant de ce dernier; si aucune de ces personnes n'est présente au lieu de travail, le travailleur doit utiliser les moyens raisonnables pour que l'une d'entre elles soit avisée sans délai5.

La décision

Le médiateur-décideur a conclu que la plainte du Travailleur en vertu de l'article 227 de la LSST était irrecevable puisque ce dernier n'a pas fait la démonstration de l'exercice d'un droit prévu par la LSST. En citant la décision de la Commission des lésions professionnelles dans Casino du Lac Leamy et Villeneuve[6] le médiateur-décideur a rappelé le fardeau de preuve du Travailleur, qui devait démontrer ce qui suit afin d'établir l'exercice d'un droit de refus:

« 1. être un travailleur au sens de la L.S.S.T. (art. 12);

2.  devoir exécuter à la demande de l'employeur un travail (art. 12);

3.  appréhender un danger résultant, pour soi-même ou pour autrui, de l'exécution de ce travail (art.12);

4.  fonder cette appréhension sur des motifs raisonnables (art 12);

5.  exercer ce droit de refus au sujet d'un travail dont les conditions ou circonstances d'exécution sont anormales (art. 13);

6.  pouvoir refuser d'exécuter le travail demandé sans mettre la sécurité d'autrui en péril immédiat (art.13);

7.  rapporter le plus tôt possible à un représentant de l'employeur le droit de refus que l'on veut ainsi exercer (art.15). »

Le médiateur-décideur s'est dit convaincu que les conditions 1, 2, 3 et 6 ci-dessus étaient rencontrées dans cette affaire. Cependant, le médiateur-décideur a estimé qu'il n'y avait pas de preuve prépondérante que le Travailleur avait des motifs raisonnables d'appréhender un danger ou que la situation dans laquelle il se trouvait était anormale et qu'il avait rapporté son refus à l'Employeur ou un de ses représentants.

Le médiateur-décideur a rappelé que le caractère raisonnable de l'appréhension d'un danger doit être apprécié à la lumière du critère de l'appréhension que pourrait avoir une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Dans le cas du Travailleur, le médiateur-décideur a estimé que ce dernier était informé des mesures mises en place par l'Employeur (prise de température corporelle des employés à leur arrivée au travail et port des équipements de protection individuelle) afin de protéger ses employés des risques liés à la COVID-19. Selon le médiateur-décideur, le port des équipements de protection individuelle permettait aux employés de travailler à moins de deux mètres les uns des autres. Dans ce contexte, le médiateur-décideur a estimé que le Travailleur n'avait pas démontré de façon prépondérante que ses appréhensions d'un danger lié à la COVID-19 étaient fondées sur des motifs raisonnables.

Le médiateur-décideur a aussi estimé que le Travailleur n'avait pas démontré de façon prépondérante que les conditions de travail ou circonstances d'exécution étaient anormales. Selon le médiateur-décideur, la COVID-19 a affecté tous les aspects de nos vies et le caractère anormal de cette pandémie n'est pas spécifique aux milieux de travail. Par conséquent, le médiateur-décideur a refusé de conclure que les conditions de travail ou circonstances d'exécution dans le cas du Travailleur étaient anormales.

Finalement, le médiateur-décideur a estimé qu'il n'y avait pas de preuve prépondérante démontrant que le Travailleur ait informé l'Employeur ou ses représentants de son refus d'exécuter un travail.

Conclusion

Cette décision constitue un rappel utile des principes applicables en matière de droit de refus en vertu de la LSST dans un contexte où le danger appréhendé est lié à la COVID-19. Pour qu'un tel droit de refus puisse s'exercer, les critères de la LSST doivent être rencontrés, ce qui ne sera normalement pas le cas chez les employeurs qui ont mis en Suvre les mesures appropriées, notamment la fourniture des équipements de protection individuels. Ainsi, ce ne sont pas toutes les moindres craintes liées à la COVID-19 qui justifieront l'exercice d'un droit de refus d'exécuter un travail.

Footnotes

1 RLRQ, c S-2.1 (la « LSST »)

2 2020 QCCNESST 203

3 Article 12 de la LSST

4 Article 13 de la LSST

5 Article 15 de la LSST

6 2004 CanLII 81839 (QC CLP)

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