Le 14 novembre dernier, la Cour supérieure a condamné un courtier et son cabinet de courtage d'assurance à des dommages pour les fautes commises par le courtier à l'occasion du renouvellement de la police d'assurance d'un immeuble.

Contexte

L'assurée est propriétaire d'un immeuble dans lequel elle exploite un bar à spectacles au rez-de-chaussée et des logements aux étages supérieurs. Depuis 2006, elle retient les services du même cabinet de courtage d'assurance (cabinet) pour assurer son immeuble.

Le 1er juin 2010, la police d'assurance vient à échéance. La limite d'assurance pour l'immeuble est de 424 000 $. Deux (2) jours ouvrables avant l'échéance de la police d'assurance, le courtier responsable du dossier de l'assurée (courtier) la rencontre pour son renouvellement. Au cours de cette rencontre, le Courtier soulève la possibilité que la limite d'assurance soit insuffisante en cas de sinistre. Le Courtier et l'assurée conviennent qu'une évaluation de l'immeuble est nécessaire et que le Courtier retiendra les services d'un évaluateur agréé. Les frais d'évaluation seront en partie assumés par le cabinet d'assurance et par l'assurée. Dans l'intervalle, la police d'assurance de l'immeuble est renouvelée pour le même montant de garantie (424 000 $).

Presque un mois s'écoule avant que le mandat d'évaluation ne soit confié à l'évaluateur agréé par le Courtier. Le Courtier reçoit le rapport d'évaluation un mois et demi après le renouvellement survenu le 1er juin 2010. L'évaluateur recommande alors de hausser la valeur de reconstruction de l'immeuble à 565 000 $. Le Courtier en prend connaissance de façon préliminaire le 20 juillet 2010. Il part en vacances deux (2) jours après, sans avoir communiqué avec l'assurée ni présenté de demande à l'assureur pour hausser la limite d'assurance de l'immeuble.

Le 23 juillet 2010, l'immeuble est détruit par un incendie sans que le montant de garantie ait été augmenté. Les coûts de reconstruction et de démolition de l'immeuble totalisent 1 003 708 $.

L'assurée réclame solidairement du Courtier et du Cabinet la somme de 224 701 $, représentant la différence entre la somme retenue par l'évaluateur et la limite d'assurance ainsi que les dommages reliés à la perte de revenus. Elle réclame aussi in solidum du Courtier, du Cabinet et de l'évaluateur la somme de 233 865 $, représentant la différence entre la valeur de remplacement qui aurait dû être établie par l'évaluateur et celle qu'il a retenue, en plus des frais de démolition.

L'assurée reproche le manque de diligence et de prudence du Courtier, notamment :

  • la prise en charge tardive du dossier de renouvellement;
  • le manque de suivi du dossier afin que l'évaluation se fasse avec diligence;
  • le défaut d'analyser le rapport de l'évaluateur agréé sur réception et de prendre les mesures requises pour faire ajuster la limite d'assurance;
  • le défaut de proposer des garanties d'assurance spécifiques pour couvrir les frais de démolition et de mise aux normes et une assurance supplémentaire pour perte de revenus.

Décision

Dans un jugement détaillé, le tribunal rappelle les obligations et devoirs des courtiers en assurance conformément à l'article 2138 C.c.Q. et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers1 (LDPSF), notamment le devoir d'agir avec prudence et diligence et le devoir de conseil du courtier. Il cite également les arrêts Fletcher2 et Baril3, décisions de principe portant sur les obligations qui incombent aux courtiers en assurance agissant à titre d'experts-conseils auprès de leurs clients.

Il cite l'article 39 LDPSF, qui se lit comme suit :

« 39. À l'occasion du renouvellement d'une police d'assurance, l'agent ou le courtier en assurance de dommages doit prendre les moyens requis pour que la garantie offerte réponde aux besoins du client. »

Sur ce point, le tribunal s'exprime ainsi :

« [53] L'article 39 de la Loi crée une obligation particulière au courtier. Lorsque vient le temps du renouvellement d'une police, le courtier ne peut se satisfaire d'un renouvellement automatique de la police, nonobstant l'augmentation peut-être régulière et automatique du montant de couverture suggéré par l'assureur. La Loi crée une obligation pour le courtier d'offrir au client un produit qui couvre un sinistre éventuel pour un montant approprié, mais le produit d'assurance offert doit s'ajuster aux besoins du client. Lorsqu'il relaie la police proposée par l'assureur, son rôle de conseil-expert doit encore s'exercer.

[54] Un courtier ne peut se satisfaire de la simple évolution des circonstances et de la valeur des biens depuis l'émission de la dernière police en vigueur. [...]

[55] Le courtier doit donc s'assurer de répondre aux besoins du client lors d'un renouvellement. Lorsque, comme dans le présent cas, le courtier rencontre pour une première fois un client à des fins de renouvellement, il doit retourner toutes les pierres et s'assurer que le produit offert ressemble à du sur-mesure.

[56] Le devoir du courtier s'ajuste aussi au niveau de connaissance du client. Plus le client connaît le monde de l'assurance, tel un courtier qui conseille un autre courtier, moins grande est son obligation de vigilance et de conseil. Moins grande est la connaissance du client, comme dans le présent dossier, plus grande doit être la vigilance et le devoir de conseil du courtier. » [nos soulignés]

Le tribunal retient les fautes suivantes du Courtier, notamment :

  • le manque de prudence et de diligence du Courtier dans la gestion du dossier de l'assurée (prise en charge tardive du dossier de renouvellement, délai dans la transmission du mandat à l'évaluateur, manquement en ce qui concerne le suivi du mandat de l'évaluateur et mauvaise gestion lors de la réception du rapport d'évaluation);
  • e défaut d'informer l'assurée de la présence d'une clause, dans la police d'assurance, ayant pour effet d'intégrer le coût de démolition à la valeur de l'immeuble et de la nécessité de hausser la limite d'assurance en conséquence;
  • l'omission d'informer l'évaluateur de mentionner l'exclusion des frais de démolition dans son rapport d'évaluation ou de prévoir une somme à cette fin; et
  • l'omission d'informer adéquatement l'assurée des frais supplémentaires potentiels découlant de la reconstruction de l'immeuble respectant les nouvelles normes de construction et les règlements municipaux en vigueur.

Selon la Cour, l'évaluateur a lui aussi commis des fautes lors de son évaluation de la valeur de remplacement de l'immeuble, fautes que l'évaluateur a admises lors du procès, notamment :

  • avoir évalué l'immeuble comme si c'était un immeuble résidentiel alors qu'il s'agissait d'un immeuble résidentiel et commercial;
  • avoir omis de préciser que les frais de démolition n'étaient pas inclus dans le montant du coût de remplacement; et
  • avoir omis de déterminer un coût en lien avec la mise aux normes de l'immeuble, dont la construction remontait à 1930.

Cependant, seule la responsabilité du Courtier est retenue. Le tribunal juge que c'est le Courtier qui a commis l'erreur déterminante causant la perte de l'assurée et non l'évaluateur, dont les fautes commises dans le cadre de son rapport d'évaluation constituent, selon le tribunal : « la survenance d'un acte sans rapport direct avec la faute initiale ».

Ainsi, la Cour supérieure conclut que n'eût été des fautes commises par le Courtier, l'assurée aurait demandé une pleine limite d'assurance pour son immeuble et l'assureur aurait accepté de hausser la limite d'assurance en conséquence.

Le tribunal condamne donc le Courtier et son Cabinet à payer à l'assurée une somme de 348 032 $.

Le jugement de première instance a été porté en appel le 12 décembre dernier.

Footnotes

*Bar et spectacles Jules et Jim inc. c Maison Jean-Yves Lemay Assurances inc., 2014 QCCS 5443.

1. RLRQ c D-9.2.

2. [1990] 3 RCS 191, 194.

3. [1991] RRA 191, 199-200 (QCCA).

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