Les faits

Un couple s'est marié en 2000 et a eu deux enfants, âgés de neuf et douze ans au moment des faits. En 2016, le couple s'est séparé et la mère a quitté le Canada pour le Royaume-Uni avec les enfants. Cette séparation a déclenché plusieurs années de dispute pour le couple, notamment des procédures entamées en vertu de la Convention de La Haye pour que les enfants reviennent au Canada et un différend en droit de la famille devant un tribunal ontarien. Pendant ce temps, le père a commencé une campagne de cyberintimidation contre la mère qui a duré plusieurs années, jusqu'au dernier jour du procès en droit de la famille. Les méthodes de cyberintimidation du père consistaient à publier sur des sites Web, des vidéos YouTube, des pétitions en ligne et à rédiger des courriels contenant des renseignements personnels et privés ainsi que des allégations de comportement abusif contre son ancienne conjointe, leurs enfants et ses anciens beaux-parents. Il a également enregistré sur vidéo les visites supervisées ordonnées par le tribunal avec ses enfants, lesquels vidéos il éditait et publiait en ligne, accompagnés de commentaires offensants. La fille du couple, qui est atteinte d'un trouble neurologique et d'un trouble du spectre de l'autisme, occupait une place centrale dans les publications du père. Celui-ci accusait la mère et sa famille d'avoir enlevé et drogué sa fille, l faisait souvent des commentaires concernant son développement lorsqu'il publiait des billets publics en ligne.

Les actes de cyberintimidation du père se sont poursuivis malgré une ordonnance de la cour en Ontario qui lui interdisait de filmer ou d'enregistrer ses enfants. Plutôt que de se conformer à l'ordonnance, le père a créé une campagne numérique visant à destituer la juge (qui n'était pas nommée dans la pétition) de la Cour supérieure de justice de l'Ontario (le « tribunal ») en raison de sa décision dans l'affaire.

Pendant la procédure en droit de la famille, la mère a présenté une réclamation civile de 150 000 $ contre le père pour intrusion dans la solitude, infliction intentionnelle de troubles émotionnels, atteinte à la vie privée et de 300 000 $ en dommages punitifs.

La décision de la cour

Le tribunal a examiné la loi actuelle et a souligné les délits précédemment reconnus en matière de vie privée, soit l'intrusion dans la solitude1 et la divulgation publique de faits privés embarrassants2. Le tribunal a notamment consulté la « liste des quatre délits » décrits dans l'article fondamental en droit de la vie privée rédigé par un professeur américain et ensuite adopté par l'American Law Society. Cette liste mentionnait le délit de « présenter publiquement les demandeurs sous un faux jour », qui était le dernier des quatre délits qui n'était pas encore reconnu en droit ontarien.

Le tribunal a statué que le délit qui n'avait pas encore été reconnu, soit le délit de « présenter publiquement [la demanderesse] sous un faux jour » devrait être reconnu dans ce dossier et qu'il serait établi dans des circonstances où :

  • la représentation fausse serait hautement préjudiciable à toute personne raisonnable; et
  • l'auteur savait, ou agissait sans se soucier de savoir, que les éléments qu'il publiait étaient faux et que la représentation montrerait la personne sous un faux jour.

Le tribunal a distingué ce nouveau délit de la diffamation. Il a précisé que même si la publicité ayant mené à la cause d'action sera souvent diffamatoire, il n'est pas nécessaire qu'il y ait diffamation dans ce cas, puisque le test exige seulement qu'une personne raisonnable considère comme hautement préjudiciable d'être publiquement présentée sous un faux jour. En outre, en ce qui a trait à ce délit, l'auteur peut être responsable de ce qu'il a publié, peu importe que l'information soit vraie ou fausse.

Le tribunal a finalement déclaré que le comportement du père dans ce dossier répondait aux exigences du délit d'intrusion dans la solitude (y compris le nouveau délit) et d'infliction intentionnelle de troubles émotionnels. En évaluant le montant des dommages appropriés à octroyer en réparation du nouveau délit en matière de vie privée, le tribunal s'est appuyé sur le critère juridique utilisé lors des dossiers en diffamation :

  1. la nature de la fausse publicité et les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu;
  2. la nature et la situation de la personne visée par la fausse publicité;
  3. les effets potentiels des fausses informations dites publiquement sur la vie de la demanderesse; et
  4. les actions et les motivations du défendeur.

Constatant que le comportement du père avait été particulièrement grave, le tribunal a accordé à la mère 100 000 $ pour le délit d'atteinte à leur vie privée, en plus des dommages-intérêts de 50 000 $ et 150 000 $ qu'elle avait reçus, respectivement, pour le délit d'infliction intentionnelle de troubles émotionnels et en dommages punitifs.

Points à retenir pour les employeurs

Bien qu'il ait été reconnu dans le cadre d'un litige en droit de la famille, ce nouveau délit en matière de vie privée revêt une importance pour les employeurs puisqu'il fournit des motifs d'action en justice autant pour les employés que pour les employeurs qui seraient victimes de fausses déclarations publiques.

Footnotes

1. Jones v Tsige, 2012 ONCA 32 (Ont Ca).

2. Jane Doe 72511 v Morgan, 2018 ONSC 6607. 

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