Résumé

Le 8 décembre 2020, le Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale du Québec, Jean Boulet, a déposé à l'Assemblée nationale le Projet de loi 78, Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (« Projet de loi 78 »). Ce Projet de loi propose de modifier le cadre législatif actuel régissant les exigences d'enregistrement des entreprises opérant au Québec, à savoir la Loi sur la publicité légale des entreprises1LPLE »), afin d'améliorer la transparence des entreprises et de lutter contre les crimes économiques, tels que l'évasion fiscale, le blanchiment d'argent et la corruption. Cette proposition fait suite aux commentaires formulés par le gouvernement du Québec dans son budget présenté en mars dernier (« Budget »), dans lequel il annonçait son intention de mettre en place des mesures visant à accroître l'équité fiscale et à améliorer la fiabilité des renseignements contenus dans le Registre des entreprises du Québec (« REQ »).2

Le Projet de loi 78 exigera que les entreprises visées par la LPLE identifient et communiquent au registraire des entreprises du Québec certains types de renseignements sur leurs « bénéficiaires ultimes », tels que leur nom, leur date de naissance et leur domicile. Sous réserve d'exceptions limitées, ces renseignements seront disponibles dans le REQ, soit une base de données en ligne consultable par tous, et ce, sans frais. De plus, les particuliers pourront effectuer des recherches dans cette base de données en utilisant le nom d'une personne physique, ce qui constitue un écart important par rapport au cadre législatif actuel, qui interdit expressément ce type de recherches pour des raisons liées notamment au respect de la vie privée.

Bien que l'intention derrière le Projet de loi 78 soit sans aucun doute louable, les moyens choisis pour y parvenir sont susceptibles d'entraîner des répercussions importantes sur la vie privée des individus, qui peuvent être exposés à un risque accru de fraude, d'hameçonnage et de vol d'identité. Ces risques sont particulièrement importants pour les plus vulnérables (dont les mineurs) qui peuvent être victimes d'enlèvement, de fraude, d'extorsion et d'autres types de menaces résultant de leur situation financière, réelle ou perçue. Compte tenu de ces risques, il convient de se demander s'il existe suffisamment de preuves pour étayer les avantages que l'on peut raisonnablement attendre de ces mesures, eu égard aux objectifs poursuivis par le Projet de loi. Les efforts du gouvernement du Québec pour améliorer la transparence des entreprises et lutter contre les crimes économiques sont essentiels ; il faut toutefois s'interroger si ces fins justifient les moyens utilisés.

Tel que détaillé dans la présente analyse, les moyens choisis apparaissent disproportionnés à deux égards. D'une part, ces moyens pourraient obliger les entreprises à communiquer plus de renseignements que ce qui est légitimement requis pour atteindre leurs objectifs et, d'autre part, ils prévoient peu de mesures pour limiter la capacité des tiers à accéder à des renseignements personnels potentiellement sensibles, ou à les utiliser, à des fins qui n'ont aucun rapport avec les objectifs visés.

Les modifications législatives sur ce sujet adoptées au niveau fédéral, ainsi que dans d'autres juridictions, ont opté pour une approche moins draconienne (par exemple, un registre privé sur les bénéficiaires effectifs). On peut donc se demander si les mesures prévues par le Projet de loi 78 assurent un équilibre adéquat entre les intérêts des individus en matière de vie privée, qui bénéficient par ailleurs d'un statut quasi constitutionnel au Québec, et les préoccupations sociétales liées à l'évasion fiscale, au blanchiment d'argent, à la corruption et à d'autres crimes économiques.

Introduction et aperçu des modifications proposées par le Projet de loi 78

Il ressort du Projet de loi 78 que le gouvernement du Québec cherche notamment à imposer aux entreprises assujetties aux exigences en matière de publicité légale (les « sociétés assujetties ») une obligation de déclarer auprès du REQ des renseignements concernant leurs « bénéficiaires ultimes », un terme dont la définition et la portée demeurent relativement imprécises. Les renseignements devant être déclarés comprennent : le nom, la date de naissance ainsi que le domicile du bénéficiaire ultime, bien que les sociétés assujetties puissent également choisir de déclarer l'adresse professionnelle d'un bénéficiaire, auquel cas le domicile de ce dernier ne sera pas consultable au REQ. Par ailleurs, ces sociétés assujetties doivent prendre des moyens raisonnables pour retracer ces bénéficiaires ultimes et s'assurer de leur identité.

Selon le Projet de loi, une entreprise serait notamment tenue de déclarer au REQ les renseignements personnels susmentionnés des personnes physiques exerçant un contrôle de fait sur une société assujettie, ou détenant ou bénéficiant – directement ou indirectement – au moins 25% des actions avec droit de vote ou d'un nombre d'actions d'une valeur correspondent à 25% ou plus de la juste valeur marchande de toutes les actions émises par cette dernière (les « bénéficiaires ultimes »). Toutefois, lorsque ce contrôle est exercé par certains véhicules juridiques, tels que les fiducies,3 le Projet de loi fournit peu de directives quant à la manière dont ces nouvelles dispositions devront être appliquées. Ce manque de précision peut créer un certain nombre d'incertitudes pour les personnes qui administrent ces véhicules ou qui sont autrement visées par ceux-ci.

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1. RLRQ c. P-44.1.

2. Gouvernement du Québec, « Budget 2020-2021 : Votre Avenir, Votre Budget - Renseignements additionnels », mars 2020 [ci-après le « Budget »].

3. Selon les déclarations antérieures du gouvernement dans son Budget, ce dernier indique que l'obligation de déclaration s'étendrait, au fiduciaire, au constituant ainsi qu'aux bénéficiaires de la fiducie, nonobstant le caractère discrétionnaire ou non discrétionnaire de la fiducie. Il convient de noter que le Budget ne fournit aucune indication quant à l'exclusion des bénéficiaires d'une fiducie discrétionnaire, quand bien même ceux-ci n'auraient reçu aucune distribution ou revenu. Voir la note de bas de page n° 25 pour plus de détails concernant les enjeux relatifs aux fiducies discrétionnaires.

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