La transparence des entreprises est un sujet saillant depuis dix ans, alors que les gouvernements du monde entier luttent contre la fraude fiscale, le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes. En décembre 2020, le Québec a emboîté le pas avec le projet de loi 78, Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (le « projet de loi »), qui a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale. Les audiences et les consultations publiques viennent d'avoir lieu et la Commission de l'économie et du travail étudie le projet de loi (la « Commission »). Les dispositions décrites dans le présent billet pourraient par conséquent faire l'objet d'amendements avant l'adoption du projet de loi.

Contexte

Les ministres des finances fédéral et provinciaux ont signé l'entente canadienne sur la transparence en 2017, aux termes de laquelle ils se sont engagés, entre autres, à effectuer des modifications législatives « afin que les sociétés tiennent des renseignements exacts et à jour sur les bénéficiaires effectifs, lesquels renseignements seront mis à la disposition des organismes d'application de la loi, ainsi qu'à la disposition des autorités fiscales et autres », à l'instar de certains pays européens et du Royaume-Uni. Jusqu'à présent, les progrès suivants ont été accomplis :

  • En 2019, la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA») a été modifiée afin d'exiger la divulgation du nom des particuliers qui sont les véritables propriétaires ayant un contrôle important sur une société régie par la LCSA (définis dans la LCSA).
  • Un certain nombre de provinces, notamment la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Manitoba et la Nouvelle-Écosse, ont emboîté le pas et modifié leurs propres lois.

Jusqu'à présent, on a choisi de modifier la loi sur les sociétés par actions du territoire concerné afin de faire évoluer la législation canadienne et, par conséquent, les modifications ne s'appliquent qu'aux sociétés constituées en vertu de la loi de ce territoire. En outre, à l'heure actuelle, les sociétés assujetties à ces régimes sont seulement tenues de tenir un registre privé des véritables propriétaires et de permettre à certains organismes de réglementation et intervenants de consulter ce registre à des fins précises (toutefois, dans certains territoires, il a été mentionné qu'au moins certains des renseignements divulgués pourraient être rendus publics à l'avenir).

Méthode différente

Dans son projet de loi 78, le Québec propose d'adopter une méthode différente des autres territoires canadiens relativement aux éléments suivants :

  • les obligations de transparence doivent être mises en Suvre au moyen de modifications à la Loi sur la publicité légale des entreprises du Québec (la « Loi sur la publicité légale du Québec ») plutôt qu'au moyen de la Loi sur les sociétés par actions du Québec;
  • l'obligation de divulgation s'appliquera aux « assujettis » en vertu de la Loi sur la publicité légale du Québec, à savoir les sociétés du Québec et d'autres sociétés, sociétés de personnes ou fiducies d'entreprises qui sont tenues de s'inscrire au registre des entreprises du Québec. Les entités qui « exercent une activité » (comme l'exploitation d'une entreprise) au Québec sont assujetties à l'obligation d'immatriculation;
  • les renseignements qu'il faut divulguer à propos des bénéficiaires ultimes doivent être accessibles au public (sous réserve de certaines restrictions). C'est le cas pour la plupart des renseignements sur les assujettis actuellement inscrits dans le registre.

Concepts essentiels

Les concepts de base du projet de loi sont généralement semblables à ceux de la LCSA et de la législation des autres provinces canadiennes, même s'il y a des différences sur des points de détail. Le concept de « bénéficiaire ultime » et la portée des renseignements qui doivent être divulgués sont décrits ci-après.

Bénéficiaire ultime

La définition de bénéficiaire ultime du projet de loi est semblable à la définition de « véritable propriétaire » de la LCSA et inclut :

  • le particulier qui détient, directement ou indirectement :
    • au moins 25 % des droits de vote rattachés aux actions, aux parts ou aux unités; OU
    • 25 % de la juste valeur marchande de toutes les actions, parts ou unités de l'assujetti;
  • le particulier qui exerce une influence directe ou indirecte qui entraîne le contrôle de fait de l'assujetti;
  • le particulier qui est le commandité d'une société en commandite assujettie;
  • les codétenteurs de 25 % des droits de vote d'un assujetti aux termes d'une convention de vote (ce qui diffère légèrement de la disposition équivalente de la LCSA).

Certains détails essentiels qui concernent les bénéficiaires ultimes, notamment la question du mode d'application (le cas échéant) des nouvelles obligations aux émetteurs assujettis et aux organismes de bienfaisance, demeurent non précisés et devraient être abordés dans le règlement.

Renseignements à divulguer

Ces renseignements sont notamment :

  • les nom, domicile (une adresse commerciale peut également être divulguée, auquel cas elle seule sera publiée) et date de naissance des bénéficiaires ultimes;
  • le type de contrôle exercé;
  • la date à laquelle la personne est devenue un bénéficiaire ultime et celle à laquelle elle a cessé de l'être.

Comme c'est le cas avec les autres renseignements sur les assujettis inscrits dans le registre, les renseignements divulgués à propos des bénéficiaires ultimes peuvent être opposables aux tiers (utilisés en preuve) à l'avantage de tiers de bonne foi. Toutefois, une personne peut soumettre une preuve visant à réfuter ces renseignements.

Il sera possible de faire une recherche au registre au moyen du nom du particulier et du nom de l'assujetti (il n'est pas actuellement possible de faire une recherche au moyen du nom du particulier).

Prochaines étapes

Dès que la Commission terminera son examen, le projet de loi sera présenté en deuxième et en troisième lecture avec ou sans amendements.

Le gouvernement du Québec n'a pas encore fait savoir s'il acceptera d'effectuer des amendements de fond au projet de loi, malgré les nombreuses préoccupations soulevées à propos de la protection des renseignements personnels et de la sécurité, entre autres. En outre, comme il a été mentionné précédemment, contrairement aux autres lois canadiennes sur la transparence, le projet de loi est applicable à toutes les entreprises qui exercent des activités au Québec, même si elles n'ont pas été constituées au Québec et les renseignements sur les bénéficiaires ultimes doivent être rendus publics. On a également signalé que la vaste portée de la loi pourrait dissuader les sociétés étrangères qui envisagent par ailleurs de faire des affaires au Québec ou d'utiliser des sociétés domiciliées au Québec pour faire des affaires au Canada, particulièrement si les autres territoires canadiens n'ont pas le même niveau d'exigence en matière de divulgation publique.

Il est prévu que les assujettis devront se conformer aux nouvelles obligations de divulgation dans un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

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