Introduction

L'évolution et les contours de l'obligation au secret professionnel du banquier en droit luxembourgeois, communément appelé « secret bancaire »1, ont déjà été maintes fois discutés et analysés.

L'approche proposée a pour intérêt de se concentrer sur l'existence et l'étendue du risque que court le banquier de se voir infliger une sanction pénale. En d'autres mots, dans quelles circonstances le banquier risque-t-il de violer son obligation au secret et de faire l'objet de poursuites pénales? En dépit de l'importance grandissante des obligations de transparence et de coopération qui s'imposent au banquier, ce risque est toujours bien ancré dans la législation luxembourgeoise.

L'article 41 (1) de la loi du 15 avril 1993 sur le secteur financier, telle que modifiée2 (ci-après, la « LSF ») consacre le caractère pénal de l'obligation au secret bancaire. Il ressort de cette disposition que la révélation des renseignements confiés aux personnes soumises à l'obligation au secret dans le cadre de leur activité professionnelle ou dans l'exercice de leur mandat est punie des peines prévues à l'article 458 du Code pénal. Toutefois, l'article 41 (2), de la LSF atténue le risque en prévoyant que l'obligation au secret n'existe pas lorsque la révélation d'un renseignement est autorisée ou imposée par ou en vertu d'une disposition législative, même antérieure à la LSF. Les autres para- graphes de cette disposition, ainsi que l'article 40 de la LSF, précisent certains cas dans lesquels la révélation sera légitime.

Rappelons d'emblée que l'article 458 du Code pénal punit « [l]es médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés [...] ».

Cet article examinera plus en détail qui sont les personnes à risque (Chapitre I), les éléments constitutifs de la violation de l'obligation au secret bancaire (Chapitre II) les contours de la révélation légitime au sens de l'article 41 de la LSF (Chapitre III), ainsi que l'intervention du juge pénal (Chapitre IV).

Il importe avant cela de brièvement retracer, à titre liminaire, l'historique du caractère pénal du secret bancaire afin de comprendre comment le banquier s'est retrouvé inclus dans le champ d'application de l'article 458 du Code pénal sans qu'il y soit explicitement mentionné3.

Le banquier est considéré faire partie des « autres personnes dépositaires » de secrets qu'on leur confie au sens de l'article 458 du Code pénal précité, mais cette appréciation n'a pas toujours fait l'unanimité.

On en retrouvait une première trace dans l'arrêté grand-ducal du 10 juin 1901 portant règlement pour la Caisse d'épargne qui prévoyait l'obligation au secret du personnel de cette institution d'État par référence à la possibilité de certaines sanctions administratives « sans préjudice de l'application de l'article 458 du Code pénal »4. Comme la doctrine le relève, les auteurs de l'époque n'étaient toutefois pas unanimes sur la portée spécifique ou générale de cette disposition5, c'est-à-dire pour le secteur bancaire dans son entièreté, mais ils l'accepteront finalement6.

La nature généralisée du secret bancaire ainsi que son caractère pénal se trouvent finalement confirmés à l'article 16 de la loi bancaire de 19817, précurseur de la LSF, puis à l'article 41 de la LSF à son adoption. Contrairement à ce que certains ont pu défendre8, la nature du secret bancaire n'est donc pas purement contractuelle, mais l'obligation au secret est ancrée dans et sanctionnée par la loi.

C'est le rôle particulier du banquier qui est à l'origine de la protection spéciale accordée aux renseignements qu'il détient : il a un rôle public et est un confident nécessaire de son client9. Les travaux parlementaires de la LSF mettaient également en exergue la nature spécifique du rôle du banquier en tant que dépositaire professionnel de secrets10 et confident de son client11.

Comme également affirmé dans les travaux parlementaires, il ne « pouvait y avoir de doute sur l'existence continue du secret professionnel imposé aux professionnels du secteur financier, sanctionné par les peines prévues à l'article 458 du Code pénal »12. Même si le renvoi explicite à l'article 458 du Code pénal était quelque peu débattu, le Conseil d'État a confirmé la nécessité d'un tel renvoi explicite en indiquant notamment qu'il jugeait « plus prudent de garder ces acquis et d'éviter tout doute à l'égard du maintien et de la continuité de la notion actuelle du secret professionnel du banquier » en rappelant que,

« s'il est exact que les exceptions au principe du secret bancaire sont reprises aux paragraphes (2) et suivants, le risque d'un double emploi, si l'on fait directement référence à l'article 458 du Code pénal, semble minime et celui d'une contradiction même exclu »13.

Le caractère pénal de l'obligation au secret a donc été explicitement inscrit à l'article 41 de la LSF pour ne laisser subsister aucun doute à ce sujet, compte tenu du rôle du banquier en tant que détenteur de données personnelles de son client. Les deux dispositions, l'article 41 de la LSF et l'article 458 du Code pénal, doivent être lues de façon complémentaire14.

Il en résulte un régime de protection particulièrement fort de la vie privée du client et de ses données personnelles.

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Footnotes

1. Comme il sera rappelé ci-après, l'obligation vise bien d'autres professionnels du secteur financier que le banquier. Les termes «secret bancaire» et «banquier» ou «banque» seront utilisés pour faire référence à l'obligation au secret de tous ces professionnels.

2. Version coordonnée : site internet de la CSSF.

3. Pour un aperçu plus complet de l'historique du secret bancaire, voy., p. ex., J. Schaffner, «L'irrésistible percée vers la transparence», AGEFI Luxembourg, 2017, F. Grulms, «État des lieux des différents secteurs de la place financière : les banques devant l'échange automatique de renseignements», Table ronde : la place financière de Luxembourg: défis et perspectives, Institut grand-ducal. Section des Sciences morales et politiques, 2014, p. 229, P. Gregorius et B. Kieffer, «Le secret bancaire luxembourgeois : Sense and Sensibility», Droit bancaire et financier au Luxembourg 2014, vol. 2, pp. 997-1059.

4. Mémorial A, 1901, no  36 ; voy. art. 4 : «Toutes les personnes qui participent au service de la Caisse d'épargne à un titre quelconque doivent observer, hors les cas prévus par la loi et sauf dispense du Gouvernement, le secret des opérations qu'elles font ou qui sont portées à leur connaissance, sous peine d'avertissement, de réprimande, de retenue de traitement, de mise en disponibilité et même de destitution, sans préjudice de l'application de l'article 458 du Code pénal.»

5. P. Gregorius et B. Kieffer, «Le secret bancaire luxembourgeois : Sense and Sensibility», op. cit., p. 1002.

6. Ibid.

7. Mémorial A, 1981, no 24. L'article 16 de la loi du 23 avril 1981 portant application de la première directive du Conseil des Communautés européennes du 12 décembre 1977 indique : «Par dérogation à l´article 458 du Code pénal, qui interdit aux administrateurs, aux membres des organes directeurs et de surveillance, aux dirigeants et aux autres employés des établissements visés à l´article 1er de la présente loi, de révéler les secrets qu'on leur confie en cette qualité [...].»

8. Voy., not., T. Biever et R. Weber, «Le secret professionnel des banques en droit luxembourgeois», Feuilles de liaison de la Conférence St. Yves, 1959, Luxembourg, et L. Schaus, «Le secret professionnel devant la loi», Conférence devant le Jeune Barreau, Luxembourg, St. Paul, p. 27.

9. P. Reckinger, «Bank confidentiality: Luxembourg», Bloomsbury Professional, 2015, p. 637.

10. Projet de loi no 3600, Avis de la Chambre du commerce du 21 juillet 1991, p. 7.

11. Projet de loi no 3600, Avis du Conseil d'État du 15 décembre 192, p. 11.

12. Projet de loi no 3600, Avis de l'Institut monétaire luxembourgeois du 28 septembre 1992, autorité de surveillance des banques et précurseur de l'actuelle Commission de surveillance du secteur financier («CSSF») en tant qu'autorité de surveillance du secteur financier luxembourgeois.

13. Projet de loi no 3600, Avis du Conseil d'État du 15 décembre 192, p. 16.

14. Voy., en ce sens, note «La portée et la nature du secret bancaire» du 1er mars 2004 du Comité des juristes auprès de la CSSF («CODEJU»), mandaté par le Comité pour le développement de la place financière («CODEPLAFI») pour examiner les implications du concept de secret bancaire et de secret professionnel, en annexe du rapport d'activités de la CSSF de 2003 (la «Note du CODEJU»), p. 197.

Originally published by Le risque pénal du banquier, Anthemis, 2020

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