Par un arrêt du 25 novembre 20201, la Cour de cassation réaffirme le caractère exceptionnel du co-emploi en donnant une nouvelle définition de ses éléments constitutifs.

Cette définition plus restrictive, tout en renforçant le caractère exceptionnel de la situation de co-emploi, devrait avoir un effet dissuasif à l'égard des salariés qui souhaiteraient s'en prévaloir.

La notion jurisprudentielle de co-emploi au sein d'un groupe s'est particulièrement développée dans le cadre de litiges en vue de faire déclarer la société faisant partie d'un groupe (société mère) responsable solidairement des conséquences financières de licenciements économiques prononcés par sa société filiale.

Il arrive en effet que la société mère d'un groupe s'implique dans la gestion de ses filiales à un point tel que les salariés de celle-ci, souvent à l'occasion de licenciements économiques, invoquent, hors lien de subordination, la qualité de co-employeur de la société mère et lui réclament l'exécution des obligations en découlant. L'objectif des salariés étant ainsi d'ajouter un débiteur à leur créance de dommages- intérêts, ceci pouvant améliorer leurs chances d'indemnisation, en particulier lorsque l'employeur est soumis à une procédure collective, qui limite les possibilités de contestation de la cause du licenciement, ou lorsque la reconnaissance d'une situation de co-emploi affecte la validité du licenciement, faute de mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, par exemple.

Face aux recours fréquents des salariés licenciés à la notion de co-emploi, la Cour de cassation était déjà intervenue pour en limiter la reconnaissance à des situations exceptionnelles.

Ainsi, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne pouvait être considérée comme un co-employeur à l'égard du personnel employé par une autre, que s'il existait entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion (i) d'intérêts, (ii) d'activités et (iii) de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière2.

Ont, par exemple, été écartés comme critères du co-emploi :

  • l'existence de dirigeants communs, un siège situé au même endroit, la nécessité pour l'employeur de tenir compte des décisions arrêtées au niveau du groupe, les concours financiers qu'une société holding peut être amenée à consentir, notamment pour aider au financement de mesures sociales3;
  • des services commerciaux et administratifs communs, ainsi que des conventions de trésorerie ou de compensation4 ;
  • des conventions d'assistance technique et de gestion de trésorerie5 ;
  • une étroite collaboration entre différentes sociétés du même groupe à la faveur d'une convention d'assistance rémunérée6 ;
  • des engagements pris pour garantir les obligations de la filiale7.

En revanche, un état de co-emploi pouvait résulter du pouvoir d'action permanent exercé par le DRH du groupe au détriment du dirigeant de la filiale, de l'immixtion de la société mère dans la gestion économique et sociale de cette filiale, du contrôle des activités administratives, contractuelles et financières par une autre entité, ces éléments établissant que l'employeur était totalement soumis à une direction commune et ne disposait plus d'aucun pouvoir propre dans la conduite des affaires8.

Dans son arrêt du 25 novembre 2020, la Cour de cassation abandonne ces trois critères traditionnels au profit d'une nouvelle définition du co-emploi se voulant plus explicite et plus restrictive.

En l'espèce, une société avait licencié ses salariés pour motif économique en raison d'une cessation d'activité. Les salariés contestant leur licenciement avaient saisi le juge prud'homal de demandes en paiement de dommages-intérêts à l'encontre de leur employeur mais également de la société mère, invoquant sa qualité de co-employeur.

La cour d'appel avait retenu l'existence d'une situation de co-emploi aux motifs que la société employeur avait notamment délégué à la société mère la gestion de ses ressources humaines au moment de la cessation de l'activité, le financement de la procédure de licenciement économique, ou encore les conventions de trésorerie et d'assistance moyennant rémunération.

La société mère s'est alors pourvue en cassation, arguant que les conditions de co-emploi n'étaient pas réunies.

La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au motif que les juges du fond ne caractérisaient pas « l'immixtion permanente de la société [mère] dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action [de la filiale ».

La Haute juridiction retient désormais que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut donc être qualifiée de co-employeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.

La chambre sociale fait désormais de l'immixtion permanente d'une société dans la gestion économique et sociale d'une autre, entraînant la perte totale de l'autonomie de cette dernière, l'unique critère du co-emploi. Cette définition plus restrictive, tout en renforçant le caractère exceptionnel de la situation de co-emploi, devrait avoir un effet dissuasif à l'égard des salariés qui souhaiteraient s'en prévaloir.

Footnotes

1. Cass.Soc. 25 novembre 2020 18-13.769

2. Cass.Soc. 2 juillet 2014, 13-15.208

3. Cass. soc. 2-7-2014

4. Cass. soc. 9-10-2019 n° 17-28.150 FS-PB

5. Cass. soc. 24-5-2018 n° 16-18.621 FS-PB

6. Cass. soc. 7-3-2017 n° 15-16.865 FS-PB

7. Cass. soc. 6-7-2016 n° 14-27.266 PB

8. Cass. soc. 6-6-2016 n° 15-15.481 FS-PB

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