Le 16 avril 2020, le Conseil fédéral a adopté l'Ordonnance insolvabilité COVID-19. L'un des principaux objectifs de cette ordonnance est de diminuer la pression subie par les organes d'administration des entreprises suisses quant à leur obligation d'aviser le juge d'un surendettement (« dépôt du bilan »). Ce soulagement vise les situations dans lesquelles le surendettement résulte directement des effets négatifs de la pandémie de COVID-19, impactant en particulier les liquidités, le bénéfice et les perspectives de con-tinuité d'exploitation de la société. Ainsi, le Conseil fédéral a mis en place un sursis con-cordataire spécial COVID-19. Ce « sursis light » offrira aux PME un accès plus rapide à la protection du sursis concordataire grâce à des exigences moins strictes que celles du sursis concordataire ordinaire. Finalement, ce « sursis light » se substituera à la suspen-sion générale des poursuites précédemment ordonnée par le Conseil fédéral en réponse à la crise de COVID-19, dont l'échéance est fixée au 19 avril 2020.

Le Conseil fédéral a complété les mesures destinées à atténuer l'impact de la pandémie de COVID-19 sur l'économie suisse en y ajoutant un pilier supplémentaire qui met l'accent sur le droit de la faillite. A l'instar de projets similaires dans d'autres pays, la nouvelle Ordonnance insolvabilité COVID-19 permettra aux organes d'administration de sociétés suisses d'une part de renoncer temporairement à aviser le juge en cas de surendettement apparent au bilan et, d'autre part, de poursuivre l'activité commerciale basée sur l'évaluation globale positive des perspectives d'assainissement du bilan d'ici au 31 décembre 2020.

En outre, l'accès des petites et moyennes entreprises (PME) à la protection du sursis concordataire est simplifié par l'introduction d'un sursis concordataire spécial COVID-19 ou « sursis light » prévoyant des exigences moins strictes.

1. Allègement de l'obligation d'aviser le juge

Devoir actuel strict : Le droit suisse des sociétés impose aux organes d'administration un devoir strict d'aviser le juge lorsqu'un surendettement résulte du bilan. Le droit actuel ne connaît que deux exceptions :

  • la présence de prêts ou créances entièrement postposés d'un montant équivalent au surendettement1; ou
  • un assainissement financier vraisemblable de la société dans un délai raisonnablement court.

Devoir de surveillance constant : Le surendettement est contrôlé d'une part au regard des derniers comptes annuels et, d'autre part, d'un bilan intermédiaire que les organes d'administration sont tenus d'établir s'il existe des raisons sérieuses d'admettre que la société est surendettée. Ce bilan intermédiaire est dressé aux valeurs d'exploitation et de liquidation et doit, en règle générale, être audité. L'obligation d'aviser le juge naît lorsque les deux bilans présentent un état de surendettement.2 L'organe d'administration peut requérir du juge soit une ouverture de la faillite, un octroi du sursis concordataire ou encore un ajournement de la faillite. En cas de non-respect du devoir d'aviser le juge, les membres des organes d'administration engagent leur responsabilité personnelle quant au dommage provoqué par le retard du dépôt du bilan. Le réviseur est subsidiairement obligé d'aviser le juge en cas de surendettement manifeste.

Crainte d'une vague de faillites provoquée par le COVID-19 : l'impact de la pandémie de COVID-19 sur les perspectives d'exploitation d'une société est actuellement difficile voire impossible à évaluer, en particulier concernant les sociétés dont les activités sont directement touchées par le confinement actuel. En effet, il en résulte une incertitude non seulement s'agissant de la durée des mesures en question, mais également par rapport aux effets de rattrapage et aux changements à long terme dans le comportement des consommateurs. De surcroît, nombreuses sont les sociétés qui ne sont pas immédiatement touchées par le confinement mais qui souffrent d'une baisse considérable de la demande pour diverses raisons telles que des obstacles dans la chaîne logistique, des clients en difficultés financières, etc. Dans une telle période d'incertitude générale, la prévision des flux de trésorerie, du bénéfice ainsi que l'évaluation des perspectives de continuité d'exploitation sont des tâches très périlleuses pour les sociétés, peu importe leur taille.

Allègement du devoir d'aviser le juge : Pour diminuer la pression subie par les organes d'administration et afin d'éviter des avis de surendettement prématurés au vu du risque considérable de responsabilité personnelle, le Conseil fédéral octroie désormais aux sociétés qui n'étaient pas surendettées le 31 décembre 2019 une dispense de l'obligation d'aviser le juge, aux deux conditions suivantes :

  • il est vraisemblable que la société présentera un bilan « sain » (absence de surendettement) au 31 décembre 2020 ; et
  • la société n'était pas surendettée au 31 décembre 2019.

En outre, bien que les organes d'administration soient toujours contraints d'établir un bilan intermédiaire en cas de soupçon de surendettement, il ne sera plus nécessaire de faire auditer ce bilan intermédiaire. Durant la procédure de consultation publique, il a été clarifié que l'obligation subsidiaire des réviseurs d'aviser le juge sera également suspendue, ce qui laissera la place à un échange de vues entre l'organe d'administration et l'organe de révision.

Exigences documentaires et business judgement rule : l'analyse des perspectives de continuation de l'activité est un devoir inaliénable et intransmissible des organes supérieurs d'administration d'une société et nécessite une décision commerciale transparente, éclairée et, de préférence, retranscrite par écrit. Les conflits d'intérêts sont à éviter. Si ces exigences sont respectées, il est attendu (et le commentaire de l'Ordonnance insolvabilité COVID-19 préparé par l'Office fédéral de la justice laisse entendre) que les juges suisses soulagent les organes dirigeants en leur offrant la protection de la business judgement rule, c'est-à-dire qu'ils n'interféreront pas dans le jugement commercial exercé par les organes dirigeants, à moins que l'évaluation de l'analyse des perspectives était manifestement insoutenable.

Défaut de la nouvelle règle : malheureusement, et malgré les critiques apportées durant la procédure de consultation, les sociétés techniquement surendettées au 31 décembre 2019, mais désormais bénéficiaires de postpositions de créances et donc, ayant le droit de poursuivre leur activité commerciale, ne bénéficieront pas de cette assouplissement d'obligation d'aviser le juge. Ces sociétés n'auront que le choix entre les trois options suivantes: (i) l'obtention d'autres postpositions couvrant le montant supplémentaire du surendettement, tout en poursuivant l'exploitation commerciale (potentiellement par injection de liquidités supplémentaires), (ii) un assainissement dans un bref délai ou (iii) le dépôt du bilan. Du fait de leur structure de bilan particulière, il est attendu que nombreuses start-ups en phase de démarrage soient confrontées à ces trois seules options.

2. « Sursis light »

Echéance de la suspension des poursuites : il est vraisemblable que certaines entreprises sévèrement touchées par la pandémie de COVID-19 ne parviendront pas à traverser cette crise sans protection formelle contre les actes des créanciers. Jusqu'au 19 avril 2020 et grâce à la suspension des délais pour l'entier du système des poursuites, les débiteurs sont généralement protégés contre de tels actes.3 Toutefois, un prolongement de ce système est considéré comme d'une part incomplet (absence de protection contre certains actes des créanciers tels que la requête de séquestre et la réalisation privée) et, d'autre part, impraticable à cause des effets inattendus (la suspension valant pour tous les débiteurs risque d'avoir des effets négatifs sur les pratiques de paiement globales).

Complexité perçue de la procédure concordataire : le droit suisse actuel de la faillite permet aux débiteurs d'obtenir de la part de leurs créanciers de l'indulgence dans ledit sursis concordataire. Depuis 2014, le sursis concordataire peut être sollicité comme un outil d'assainissement indépendant permettant d'assainir la société au stade du sursis provisoire, sans que la procédure n'aboutisse nécessairement à la seconde étape, le sursis définitif, pour négocier un concordat avec les créanciers. A ce titre, le sursis concordataire serait également une option pour les entreprises touchées par la pandémie de COVID-19. Or, la procédure concordataire n'est toujours que rarement choisie en pratique par les PME. Ce constat est principalement dû à la complexité de la procédure, l'intervention fréquente du commissaire et les frais occasionnés.

Un « sursis light » comme solution : partant, le Conseil fédéral a adopté une nouvelle ordonnance visant à offrir aux PME les avantages du sursis concordataire sans en subir les inconvénients susmentionnés. Accordé par le juge, le « sursis light » suspendra la plupart des actes de créanciers en Suisse, permettant ainsi aux PME de respirer. Les créances nées avant l'octroi du « sursis light » ne peuvent plus être exigées, à l'exception de certaines créances privilégiées, en particulier les prétentions salariales des employés et les prétentions de fonds de pension y afférents. En revanche, les créances naissant pendant le « sursis light » peuvent être réglées, à moins de compromettre les intérêts légitimes des créanciers ou d'accorder un avantage à certains créanciers. Tandis que la poursuite de l'activité commerciale sera généralement permise, certains actes tels que la constitution de sûretés ou l'aliénation d'actifs non courants nécessiteront le consentement du juge.

Principales différences du « sursis light » : Les différences majeures entre le « sursis light » et le sursis concordataire ordinaire sont les suivantes :

  • seules les PME auront accès au « sursis light » (contrairement aux sociétés cotées et grandes4 entreprises) ;
  • seule une PME qui nécessite cette protection pourra requérir le « sursis light » (et non pas ses créanciers) ;
  • la société requérante doit avoir présenté un bilan « sain » (absence de surendettement) au 31 décembre 2019. Cette exigence permet d'éviter que le « sursis light » ne soit sollicité par des entreprises qui présentaient déjà d'importantes difficultés financières avant la pandémie de COVID-19. Concernant l'allègement des obligations d'aviser le juge et contrairement à ce qui est exposé cidessus, les sociétés qui étaient déjà surendettées au 31 décembre 2019 mais dont le surendettement avait été couvert par des postpositions de créances peuvent tout de même requérir le « sursis light » ;
  • les informations financières à fournir au juge seront moins détaillées que pour un sursis concordataire ordinaire, mais devront rendre crédible, dans la mesure du possible, la situation de fortune du requérant ;
  • le « sursis light » pourra être accordé pour une durée initiale allant jusqu'à trois mois (avec l'option d'une seule prolongation de trois mois) ;
  • la nomination d'un commissaire sera l'exception (contrairement au sursis concordataire ordinaire où il s'agit plutôt de la règle) ;
  • le « sursis light » sera toujours publié (pas de « sursis light » silencieux) et la PME devra en informer ses créanciers de façon proactive une fois le « sursis light » accordé ;
  • même si le « sursis light » offrira une protection globale contre les actes des créanciers, certains effets du sursis concordataire ordinaire ne s'appliqueront pas : (1) le cours des intérêts continuera pendant le « sursis light », (2) les procès civil et procédures administratives ne seront pas automatiquement suspendus, (3) le commissaire au sursis ne pourra pas ordonner la conversion d'une réclamation non-monétaire en une créance monétaire et (4) les contrats de durée ne pourront pas être dénoncés afin de faciliter l'assainissement et ce, même si un commissaire est nommé ;
  • aucune règle spécifique de sortie ne s'appliquera au « sursis light », c'est-à-dire que la PME continuera à exploiter son activité sous le régime ordinaire après l'expiration du « sursis light » sans toutefois accomplir des actes qui nuiraient aux intérêts légitimes des créanciers ou qui favoriseraient l'un d'entre eux. A ce stade, le juge ne sera pas impliqué ; et
  • à l'instar du sursis concordataire, la super-priorité de créances naissant pendant le « sursis light » nécessitera le consentement du commissaire au sursis. Toutefois, puisque dans le cadre du « sursis light », la nomination d'un commissaire sera l'exception, les créanciers ne pourront dès lors pas compter sur le fait d'être au bénéfice d'une super-priorité.

L'Ordonnance insolvabilité COVID-19 précise qu'en cas de requête du « sursis light », les organes d'administration de l'entreprise en question sont considérés s'être conformés à leurs obligations légales d'aviser en cas de surendettement.

Contraintes de liquidité : Il reste à voir si le « sursis light » sera plus largement sollicité en pratique. Vu qu'il sera publié et compte tenu du fait que les créanciers continuant à faire du commerce avec le débiteur ne bénéficieront pas de droits de super-priorité, il est possible que le « sursis light » augmentera, du moins dans une première phase, la pression sur les liquidités, car beaucoup de cocontractants insisteront sur des prépaiements ou des acomptes. Finalement, la question reste ouverte quant à savoir si les entreprises souhaitant requérir le « sursis light » pourront toujours demander un prêt COVID-19 ou non. Contrairement au projet préalable (qui excluait cette faculté), cela reste du moins juridiquement possible.

3. Modifications au sursis concordataire ordinaire

Certaines modifications ont été adoptées pour le sursis concordataire ordinaire. Ainsi, les requérants ne sont notamment plus contraints de présenter au juge un plan d'assainissement provisoire accompagnant la requête de sursis provisoire, soit la première étape du sursis ordinaire, afin que le juge examine les capacités d'assainissement. En effet, un tel plan est terriblement difficile à établir au vu des incertitudes actuelles. De surcroît, la durée totale du sursis provisoire a été prolongée à six mois (jusqu'alors : quatre mois).

Enfin, et ce jusqu'au 31 mai 2020, le juge du concordat ne sera pas obligé de prononcer d'office la faillite s'il n'existe manifestement aucune perspective d'assainissement, pour autant que le débiteur en question n'ait pas été pas surendetté au 31 décembre 2019 ou que ce surendettement ait été couvert par des postpositions.

4. Entrée en vigueur et durée

L'Ordonnance insolvabilité COVID-19 entrera en vigueur le 20 avril 2020, à minuit, pour une durée de six mois, à moins qu'elle ne soit prolongée par le Conseil fédéral.

Footnotes

1. Selon les meilleures pratiques de gouvernance, les pertes escomptées futures doivent également être couvertes.

2. Si l'hypothèse de continuité d'exploitation continue n'est toutefois pas viable, seulement la valeur de liquidation est relevant.

3. Cf. notre COVID-19 Update du 18 mars 2020, disponible en anglais et allemande.

4. Les sociétés qui, au cours de deux exercices successifs, dépassent deux des valeurs suivantes : total du bilan de CHF 20m ; chiffre d'affaires de CHF 40m ; 250 emplois à plein temps en moyenne annuelle.

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