Le 9 janvier 2022, la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement de l'UEMOA imposait des sanctions économiques au Mali, lequel a contesté la légalité de cette décision et obtenu à titre provisoire le sursis à exécution de celle-ci le 24 mars 2022. Pourtant, depuis cette date, la BCEAO continue d'appliquer les sanctions en toute impunité et sans aucun fondement.

1. Les sanctions contre le Mali décidées par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement le 9 janvier 2022

Le 9 janvier 2022, la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement de l'UEMOA se réunit à Accra (Ghana) pour décider des suites à donner aux sanctions décidées par la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement de la CEDEAO envers l'État malien. Cette Conférence s'aligne et applique les sanctions arrêtées par la CEDEAO, parmi lesquelles :

  • la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays membres et le Mali ;
  • la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les pays membres et le Mali, à l'exception des produits alimentaires de grande consommation ;
  • le gel des avoirs du Mali au sein de la BCEAO.

Or, le Mali conteste la légalité de cette décision en arguant que la Conférence est incompétente pour prendre de telles mesures.

Le 15 février 2022, le Mali for,e ainsi un recours en légalité de la décision de la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement de l'UEMOA auprès de la Cour de Justice de l'UEMOA et, parallèlement, une demande de sursis à exécution de cette décision devant le Président de cette même Cour.

Le 24 mars 2022, le Président de la Cour de Justice de l'Union rend une ordonnance de sursis à exécution des sanctions prononcées dans la décision du 9 janvier après avoir considéré que :

  • la décision de la Conférence attaquée par le Mali a reçu une application immédiate qui se traduisait notamment par l'exclusion du Mali des organes et institutions de l'UEMOA ou des concours financiers en sa faveur par les institutions de l'Union ;
  • les moyens avancés par le Mali pour contester la légalité de la décision de la Conférence paraissent sérieux et ;
  • les conséquences de l'exécution des sanctions prononcées à l'encontre du Mali du fait de cette décision risquent d'être difficilement réparables au regard de l'impact social, économique et financier.

Jusqu'à présent, le Mali subit toujours les sanctions décidées par l'UEMOA. C'est à se demander si, en définitive, la Cour de Justice, de par les textes qui l'instituent, dispose du pouvoir de suspendre une décision d'un organe de l'Union.

Un bref rappel de la compétence de la Cour de Justice de l'UEMOA au provisoire s'impose.

2. La compétence de la Cour de Justice de l'UEMOA au provisoire

La Cour de Justice de l'UEMOA est instituée par l'article 38 du Traité de Dakar du 10 janvier 1994 portant création de l'UEMOA.

Cette Cour a pour mission d'interpréter et d'appliquer le droit communautaire de l'Union et de veiller à son application au sein des huit pays membres.

Ses compétences sont diverses (Article 27 de l'Acte additionnel n°10/96). Elle peut notamment connaître:

  • de recours en manquement formulé par la commission de l'UEMOA ou par un État membre avec saisine préalable de la commission. Il a pour but de vérifier le respect des clauses du Traité par les États membres ;
  • de recours en appréciation de légalité des actes communautaires (règlements, directives, décisions, décisions individuelles faisant grief) ; ou encore
  • des actions en responsabilité à l'encontre des organes de l'Union.

La Cour de Justice de l'UEMOA a classiquement une compétence au fond tandis que son Président a le pouvoir de décider de mesures provisoires sans préjudice de ce que décidera le juge du fond.

Ainsi, sur l'appréciation de la légalité des actes des organes de l'UEMOA, qu'il s'agisse de règlements, directives, décisions ou encore de décisions individuelles faisant grief, le Cour peut juger au fond de la légalité des décisions prises par la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement de l'UEMOA, qui en est un de ses organes.

Elle agit sur recours d'un État membre, du Conseil, de la Commission ou de toute personne physique ou morale lésée par l'acte dont il est question.

Si la Cour annule l'acte d'un organe, l'article 10 du Protocole Additionnel n°1 précise clairement que celui-ci est alors tenu de prendre les mesures nécessaires afin de se mettre en conformité avec la décision de la juridiction communautaire.

Est-ce à dire que la solution devrait être différente si le Président de la Cour suspendait l'exécution de la décision de cet organe ? On ne verrait pas très bien pourquoi.

En effet, le Président de la Cour est investi du pouvoir d'ordonner des mesures provisoires et de suspendre les actes des organes de l'Union qui sont contestés devant la Cour en vertu des articles 18 et 19 du Protocole Additionnel n°1.

Le Président statue par ordonnance motivée non susceptible de recours (Article 73 du Règlement N°1/96/CM; Article 44 de l'Acte additionnel n°10/96).

L'ordonnance est provisoire en attendant la décision de la Cour statuant au principal.

Elle n'en reste pas moins applicable dès son prononcé.

3. L'attitude des institutions communautaire

À la suite de l'ordonnance du 24 mars 2022, les sanctions décidées par la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement de l'UEMOA ont été juridiquement suspendues.

Cependant, il n'y a pas eu de modification dans l'application des sanctions entre la période précédant et celle suivant la date du 24 mars 2022.

Il est toujours difficile de procéder à des règlements avec le Mali même quand cela a trait à des produits de première nécessité et la BCEAO n'a pas levé ses mesures de gel des avoirs maliens.

C'est comme si l'ordonnance n'avait jamais existé.

En réalité, des organes comme la BCEAO n'ont absolument aucun fondement légal pour geler les avoirs de l'Etat malien tant et aussi longtemps que la décision au fond de la Cour ne sera pas venue confirmer la légalité de la décision du 9 janvier 2022.

Ce faisant, la BCEAO s'expose à voir sa responsabilité engagée par le Mali devant la même Cour qui a suspendu les mesures sur le fondement de l'article 15 du Protocole additionnel n°1.

Surtout, cela donne le sentiment que l'UEMOA et ses institutions ne respectent aucunement les décisions des juridictions que l'Union a elle-même instituées, ce qui est quelque peu contradictoire avec l'objectif des sanctions prises le 9 janvier 2022, à savoir la restauration de l'ordre constitutionnel dans au Mali.

Originally published 21 Juin 2022

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