Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 6B_110/2022 du 9 novembre 2022 | Défaut de la qualité pour recourir de la partie plaignante à la suite d'un classement (art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF) en l'absence de dommage direct dans son patrimoine (art. 138, 146, 158 CP)


  • était président et C. membre du conseil d'administration de la société D. AG. La fondation A., dont le siège est à Amsterdam, a accordé un prêt à D. AG. Le 14 janvier 2019, la société D. AG a été déclarée en faillite. Par la suite, la fondation a dénoncé les deux membres du conseil d'administration pour des délits présumés contre le patrimoine et la faillite, en leur reprochant d'avoir détourné de son but le prêt accordé à D. AG. Le 25 mai 2021, le Ministère public du canton de Schwytz a classé la procédure pénale relative à l'abus de confiance, à la gestion déloyale et éventuellement à l'escroquerie en ce qui concerne l'utilisation prétendument détournée du prêt.
  • Dans le cadre de cette constellation particulière, le Tribunal fédéral a analysé de manière approfondie la recevabilité du recours en matière pénale formée par la fondation.
  • Selon l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, la partie plaignante a qualité pour recourir, pour autant que la décision attaquée puisse avoir une incidence sur le jugement de ses prétentions civiles, notamment ses prétentions en dommages-intérêts et en réparation du tort moral selon les art. 41 ss CO (consid. 1.1).
  • Lorsque le recours est dirigé contre une décision de classement, la partie plaignante n'a pas nécessairement déjà pu faire valoir une prétention civile devant les autorités cantonales, c'est pourquoi elle doit exposer pour quelles raisons et dans quelle mesure la décision attaquée peut avoir des répercussions sur ses créances civiles. Le Tribunal fédéral pose des exigences strictes en la matière
    (consid. 1.2).
  • A ce stade, notre Haute Cour a dû déterminer quel était le dommage afin d'individualiser quel était le patrimoine lésé et donc l'identité de la partie plaignante étant légitimée à recourir contre une décision de classement (consid. 1.3 ss).
  • Selon la jurisprudence, si, dans la faillite, la société ou la masse est directement lésée en plus des créanciers de la société, l'action individuelle des créanciers peut entrer en concurrence avec les prétentions de la société. Afin d'éviter une course entre les créanciers et la société, les actionnaires ou les créanciers ne peuvent faire valoir leur dommage direct que si le dommage est dû à une violation des dispositions du droit de la société anonyme qui servent exclusivement à la protection des créanciers ou des actionnaires, si l'obligation de réparer le dommage est fondée sur un autre comportement illicite de l'organe au sens de l'art. 41 CO ou sur un élément constitutif de la culpa in contrahendo (consid. 1.5).
  • Dans le contrat de prêt, le prêteur s'engage à transférer la propriété d'une somme d'argent ou d'autres choses fongibles. L'emprunteur s'engage à son tour à restituer des choses de même nature, en quantité et qualité équivalentes (art. 312 CO)
    (consid. 1.7.1).
  • In casu, la somme prêtée par la Recourante est entrée dans le patrimoine de D. AG. Si les deux membres du conseil d'administration avaient fait un usage contraire au but de cette somme prêtée, il s'agirait tout au plus d'un détournement au détriment de D. AG et non de la Recourante en tant que prêteuse. Par ailleurs, les infractions visées, à savoir les art. 138 ch. 1 al. 2 et 158 CP, protègent le patrimoine de la société et non le droit au remboursement de la Recourante en tant que « propriétaire» de la somme prêtée. Ainsi, la Recourante ne pouvait pas déduire une prétention directe en dommages-intérêts contre les deux membres du conseil d'administration (consid. 1.7.2 et 1.7.3).
  • Nonobstant cela, le Tribunal fédéral a relevé que si la Recourante voulait faire valoir que B. et C. avaient déjà obtenu le versement de la somme prêtée à la société, il aurait été envisageable de se prévaloir de l'art. 146 CP (escroquerie) comme norme de protection concernant le patrimoine de la Recourante (et non celui de la société). Toutefois, la Recourante n'avait apporté aucune explication ou justification dans ce sens (consid. 1.7.4).
  • Au vu de ce qui précède, le recours a été déclaré irrecevable pour défaut de la qualité pour recourir et les frais ont été mis à la charge de la Recourante (consid. 2).

TF 1B_319/2022 du 17 novembre 2022 | Qualité de partie plaignante (art. 118 CPP) et trust

  • Lorsque le propriétaire légal du patrimoine d'un trust lésé est à même de défendre les intérêts du trust, notamment en raison de l'absence d'un conflit d'intérêts, il lui appartient d'agir à la défense dudit trust. Lui seul peut se prévaloir de la qualité de partie plaignante (consid. 2.3).

TF 6B_853/2021 du 16 novembre 2022 | Non-observation de l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral (art. 107 al. 2 LTF) – interdiction de la reformatio in pejus

  • Lorsque la cour cantonale reprend quasiment à l'identique la motivation qu'elle avait d'ores et déjà développée dans son premier arrêt, quand bien même le Tribunal fédéral l'avait jugée problématique et lui avait renvoyé la cause, elle agit de façon contraire au droit et porte atteinte à la force contraignante dudit arrêt de renvoi. Pour cette raison, le Tribunal fédéral a considéré que la cause devait être renvoyée une nouvelle fois à ladite cour cantonale afin que celle-ci conduise son raisonnement en application des considérations de notre Haute Cour (consid. 4.3.1).
  • En outre, conformément au principe de l'interdiction de la reformatio in pejus, l'instance cantonale ne pouvait pas mettre les frais de la procédure de recours à la charge du Recourant dans son second arrêt après la procédure de renvoi, étant donné qu'elle les avait laissés à la charge de l'Etat dans son arrêt initial. En condamnant le Recourant à une partie des frais de la procédure de recours cantonale, l'instance inférieure s'est donc écartée de l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral et a ainsi violé l'art. 107 al. 2 LTF, ainsi que le principe de l'autorité de l'arrêt de renvoi (consid. 4.4).
  • Partant, l'arrêt entrepris a été annulé et la cause renvoyée à l'instance inférieure pour nouvelle décision (consid. 6).

TF 1B_512/2022 du 17 novembre 2022 | Qualité de partie plaignante des proches dans une procédure pénale (art. 116 al. 2 CPP) pour des infractions contre l'intégrité sexuelle

  • Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a rappelé que le droit d'un proche au sens de l'art. 116 al. 2 CPP de se constituer partie plaignante implique, ce que confirme la combinaison des art. 117 al. 3 et 122 al. 2 CPP, qu'il fasse valoir des prétentions civiles propres. Selon la jurisprudence, on ne peut pas exclure a priori le droit des parents de victimes d'abus sexuels à une indemnité pour tort moral. Toutefois, seules des atteintes d'une gravité exceptionnelle peuvent en justifier l'allocation. Le parent d'un enfant abusé sexuellement doit par conséquent être touché avec la même intensité qu'en cas de décès de l'enfant (consid. 3.1).

TF 1B_604/2021 du 23 novembre 2022 | Opposition à une perquisition en matière de droit pénal administratif (art. 50 DPA)

  • Dans les faits, la FINMA a déposé une dénonciation auprès du Département fédéral des finances (« DFF») en raison de soupçons de violation de l'obligation de communiquer selon l'art. 9 et 37 LBA par le Recourant. Au cours de son enquête, le DFF a recueilli des informations et documents auprès d'une banque. Le Recourant s'est opposé à la perquisition des moyens de preuve et a demandé leur mise sous scellés.
  • Le DFF a rejeté son opposition au motif que le Recourant n'était pas le détenteur des documents litigieux et ne pouvait dès lors pas demander la mise sous scellés. Le prévenu a recouru contre cette décision auprès du Tribunal pénal fédéral, sans succès. Devant le Tribunal fédéral, le Recourant a fait valoir une violation des art. 50 DPA et 248 CPP.
  • Selon le libellé clair de l'art. 50 al. 3 DPA, le détenteur des papiers perquisitionnés a la possibilité de demander l'apposition des scellés. Selon la pratique de notre Haute Cour, les personnes qui n'ont pas elles-mêmes la garde des documents peuvent exceptionnellement être habilités à requérir la mise sous scellés. Dans cette dernière hypothèse, le demandeur dont le droit d'apposer les scellés n'est pas évident pour l'autorité d'instruction, a l'obligation d'étayer suffisamment les raisons pour lesquelles il est malgré tout – exceptionnellement – légitimé à demander la mise sous scellés
    (consid. 5.4).
  • In casu, le Recourant n'a pas suffisamment motivé son opposition quant aux secrets qu'il souhaitait protéger ainsi que les raisons qui le motivait
    (consid. 5.5).
  • Le Tribunal fédéral a par conséquent rejeté le recours.

TF 1B_517/2022 du 22 novembre 2022 | Irrecevabilité du recours dirigé contre le refus d'octroyer l'assistance judiciaire gratuite et la mise à la charge du prévenu des frais de la procédure de recours (art. 93 al. 1 let. a LTF)

  • Le Ministère public de Lenzburg-Aarau a mené une procédure pénale à l'encontre du Recourant pour menaces multiples, contrainte, insultes multiples et diffamation. Après avoir été en détention provisoire, le Recourant a été libéré le 28 juin 2022 avec la mise en place de mesures de substitution. Celles-ci ont été prolongées par décision du 20 juin 2022. Le Recourant a alors contestée cette dernière décision et s'est vu refusé, dans le cadre de son recours, l'assistance judiciaire gratuite. Des frais à hauteur de CHF 1'070.- ont également été mis à sa charge par l'autorité de recours. Par devant le Tribunal fédéral, le Recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite et la mise des frais à la charge de l'Etat.
  • Notre Haute Cour s'est penchée sur la recevabilité du recours au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Elle a examiné si la décision incidente contestée pouvait entraîner un préjudice irréparable pour le Recourant (consid. 1.2 ss).
  • A cet égard, le Tribunal fédéral a rappelé que les décisions incidentes refusant l'assistance judiciaire gratuite entraînent en règle générale un préjudice irréparable. C'est notamment le cas lorsqu'une avance de frais doit être versée au tribunal ou à l'avocat dans un bref délai. En revanche, lorsque la procédure est déjà terminée, que le représentant juridique a déjà fait son travail et qu'il n'y a donc pas de risque que le recourant ne puisse pas faire valoir ses droits en raison du refus de l'assistance judiciaire gratuite ou de la défense d'office, on ne peut pas déduire du seul fait qu'une décision concerne la défense d'office ou l'assistance judiciaire gratuite le risque d'un préjudice irréparable
    (consid. 1.3.1).
  • In casu, notre Haute Cour a relevé que l'autorité de recours n'avait demandé aucune avance de frais au Recourant. En outre, ladite autorité lui avait incontestablement accordé la défense d'office pour la procédure de recours. De plus, la procédure relative aux mesures de contrainte était désormais close. En ce qui concerne les frais de la défense d'office, l'autorité de recours avait retenu que l'indemnité versée au représentant légal devait être fixée à la fin de la procédure principale (consid. 1.3.1).
  • Dans ces circonstances, et selon la jurisprudence, le Recourant n'a donc subi aucun préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF en raison du refus de l'assistance judiciaire gratuite, puisqu'il a toujours été défendu efficacement et qu'il n'a pas (encore) été condamné à payer les frais de la défense d'office (consid. 1.3.1).
  • Quant aux frais de la procédure de recours, le Tribunal fédéral a souligné que l'art. 29 al. 3 Cst. ne confère pas aux recourants (actuellement) indigents un droit à l'exonération définitive des frais de procédure. Dans le cadre de l'assistance judiciaire gratuite, les justiciables financièrement démunis qui n'introduisent pas de recours voués à l'échec ont uniquement droit à être libérés de l'obligation d'avancer les frais.
  • In casu, le Recourant n'a pas fait valoir que l'autorité inférieure aurait exigé de lui une avance de frais, raison pour laquelle il n'a subi aucun préjudice à cet égard. En outre, selon la jurisprudence, la mise à la charge des frais dans le cadre de la présente décision incidente ne constitue pas un titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 80 al. 1 LP, de sorte que le Recourant ne risque pas non plus de subir un préjudice juridique irréparable à cet égard (consid. 1.3.2).
  • Fort de ce qui précède, le Tribunal fédéral a déclaré le recours irrecevable, faute de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF.


TF 1B_321/2022 du 30 novembre 2022 | Requête de levée des scellés – dies a quo délai de 20 jours (art. 248 al. 2 CPP)

  • Dans les faits, le Ministère public de la Confédération (« MPC») a ouvert une instruction pénale contre inconnu pour blanchiment d'argent aggravé. Dans le cadre de cette procédure, diverses requêtes du MPC ont été soumises à la banque A. SA en vue d'obtenir des documents.
  • En particulier, la banque A. SA a remis au MPC un disque dur, qui avait été préalablement édité, le 30 août 2019. Le jour même, elle en a demandé la mise sous scellés. Le 17 septembre 2019, le MPC a refusé d'apposé les scellés, mais a informé la banque que l'enveloppe contenant le disque dur ne serait pas ouverte avant l'entrée en force de sa décision. Le 24 septembre 2020, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral a admis le recours de la banque contre la décision du MPC et a ordonné à ce dernier qu'il procède à la mise sous scellés ; ce qu'il a fait le lendemain. Finalement, le 12 octobre 2020, le MPC a demandé au Tribunal des mesures de contrainte («TMC ») la levée des scellés. Le TMC a déclaré cette requête irrecevable en raison de sa tardiveté. Le MPC a ainsi recouru contre cette décision auprès du Tribunal fédéral.
  • En cas d'édition de documents, deux circonstances entrent en considération pour déterminer le jour à partir duquel le délai de 20 jours de l'art. 248 al. 2 CPP commence à courir, soit (1) une demande de mise sous scellés connue de l'autorité pénale et (2) la réception par celle-ci des documents susceptibles de bénéficier de cette protection
    (consid. 2.1).
  • In casu, le TMC a considéré que ces deux circonstances étaient réalisées le 30 août 2019, soit le jour où le disque dur a été remis au MPC. Selon le TMC, le délai de 20 jours avait commencé à courir le 31 août 2019 et était arrivé à échéance le 21 septembre 2019, rendant ainsi tardive la demande de levée de scellés du MPC déposée le 12 octobre 2020 (consid. 2.2).
  • Selon le Tribunal fédéral, l'appréciation de l'autorité précédente imposerait au MPC de saisir le TMC d'une demande visant à obtenir la levée d'une mesure de protection inexistante, puisqu'il avait formellement refusé sa mise en Suvre. La saisine du TMC serait ainsi prématurée, faute d'objet sous scellés proprement dit (consid. 2.3).
  • Notre Haute Cour a rappelé que lorsque le Ministère public rend une décision formelle refusant la mise sous scellés, il n'a pas à saisir en parallèle le TMC d'une demande de levée des scellés, notamment dans les 20 jours suivant le dépôt de la requête de protection ou la connaissance de celle-ci et la réception des éléments à protéger. Dans cette configuration particulière, c'est l'entrée en force du prononcé de l'autorité de recours au sens de
    l'art. 20 al. 1 CPP (cf. art. 437 al. 3 CPP) - ou, le cas échéant et si l'effet suspensif a été accordé (cf. art. 103 LTF), du Tribunal fédéral (cf. art. 61 et 78 ss LTF) - annulant l'ordonnance de refus du Ministère public et lui ordonnant de mettre sous scellés les objets litigieux qui constitue l'événement à la suite duquel le délai de l'art. 248 al. 2 CPP commence à courir (cf. art. 90 al. 1 CPP) (consid. 2.3).
  • Partant, le Tribunal fédéral a indiqué que le délai avait commencé à courir le lendemain de la notification de l'arrêt de la Cour des plaintes du Tribunal fédéral, soit le 26 septembre 2020. Ainsi, la saisine du TMC le 12 octobre 2020 était intervenue en temps utile (consid. 2.3).
  • Le recours du MPC a donc été admis.

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

TF 6B_1236/2021 du 4 novembre 2022 | Extorsion – menace d'un dommage sérieux (art. 156 CP)

  • Le fait de s'adresser à un débiteur et de l'intimider en mettant en avant « un risque de mise sous tutelle» à son égard en cas de non-paiement de la créance, fait de toute évidence planer une menace de mise sous tutelle. Il importe peu que l'auteur des propos ait la capacité de demander une telle mesure ou non. Cela consiste en un moyen de pression abusif, et partant illicite, et constitue une menace d'un dommage sérieux au sens de l'art. 156 ch. 1 CP (consid. 3.4).

TF 6B_731/2021 du 24 novembre 2022 | Faux dans les titres – crédibilité accrue du formulaire A – refus de revirement de jurisprudence (art. 251 CP)

  • Le Recourante a saisi le Tribunal fédéral afin de contester le jugement la déclarant coupable de faux dans les titres (art. 251 CP). Selon les instances cantonales, la Recourante a commis un faux dans les titres en inscrivant, sur le formulaire A, ses enfants comme étant les ayants droits des comptes qu'elle avait ouverts.
  • L'infraction de faux dans les titres nécessite un mensonge écrit qualifié. Tel est le cas lorsqu'un document jouit d'une crédibilité accrue et que le destinataire lui accorde donc une confiance particulière (consid. 6.3.2).
  • Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un formulaire A jouit d'une telle crédibilité. Dès lors, si son contenu est inexact, il représente une fausse authentification au sens de l'art. 251 CP (consid. 6.3.3).
  • Une certaine partie de la doctrine conteste toutefois cette pratique. Certains auteurs estiment que l'obligation légale d'identifier l'ayant droit économique s'adresse exclusivement à l'intermédiaire financier et non au déclarant, de sorte que la déclaration des clients ne bénéficierait pas d'une crédibilité accrue. D'autres auteurs partent du principe qu'il ne faut pas attribuer au formulaire A une crédibilité accrue, dans la mesure où le client de l'intermédiaire financier ne jouit pas d'une position de confiance particulière. Enfin, la doctrine critique la jurisprudence en soulignant que son application reviendrait à créer un « monde à l'envers» si le client qui, lors de l'ouverture d'un compte, donne au banquier des informations inexactes sur l'ayant droit économique, devait être sanctionné pour faux, alors que le banquier qui identifie intentionnellement de manière erronée l'ayant droit économique est passible d'une peine privative de liberté d'un an au maximum en vertu de l'art. 305ter CP
    (consid. 6.3.4).
  • Le Tribunal fédéral a rappelé qu'afin de préserver la sécurité du droit, un revirement de jurisprudence ne peut être justifié que si la nouvelle solution correspond à une meilleure connaissance du but de la loi, à une modification des circonstances extérieures ou à une évolution des conceptions juridiques. Dans le cas contraire, la pratique actuelle doit être maintenue (consid. 6.4.1).
  • Notre Haute Cour a relevé que le but du droit pénal dans ce cas particulier est de protéger la fiabilité des transactions juridiques avec des titres. Autrement dit, il protège la confiance particulière que les participants aux relations juridiques accordent à un document en tant que moyen de preuve
    (consid. 6.4.2).
  • En outre, le collaborateur de l'intermédiaire financier qui reçoit la déclaration du cocontractant sur le formulaire A concernant l'ayant droit économique des valeurs patrimoniales peut en principe se fier à la véracité de cette déclaration. En règle générale, les intermédiaires financiers ne sont pas tenus de vérifier l'exactitude du contenu du formulaire A, à moins qu'il existe des doutes sérieux quant à la véracité de cette déclaration. Dans ce dernier cas, il est nécessaire de procéder à des clarifications supplémentaires (consid. 6.4.4).
  • Partant, le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion suivante : si l'intermédiaire financier ne pouvait plus se fier à l'exactitude des indications fournies par le cocontractant dans le formulaire A lors de l'ouverture d'un compte, il devrait par conséquent toujours soumettre l'environnement économique de ses futurs clients à un examen approfondi et sans réserve, ce qui engendrerait des coûts disproportionnés d'ouverture de compte. Pour ces raisons, il convient de maintenir la jurisprudence actuelle octroyant une crédibilité accrue au formulaire A (consid. 6.4.4).
  • Le recours a donc été rejeté (consid. 7).

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE


TF 5A_103/20221 du 31 octobre 2022 | Poursuite contre une succession (art. 49 LP)

  • Le Recourant, A., a requis un séquestre à l'encontre de la succession indivise de B. ainsi que la constatation de la force exécutoire d'un jugement concernant un litige contre ce dernier. Ses requêtes ont été rejetées en première instance et en appel, menant le Recourant à saisir le Tribunal fédéral.
  • L'Obergericht du canton de Zurich avait rejeté la demande du Recourant au motif que l'art. 49 LP (for de la poursuite d'une succession) imposait que la succession soit poursuivie « au lieu où le défunt pouvait être lui-même poursuivi» ce qui impliquait, selon l'instance précédente, qu'un séquestre ait déjà été exécuté du vivant du défunt
    (consid. 2.1.2).
  • Afin d'aborder cette question, notre Haute Cour a d'abord dû établir quel était son pouvoir de cognition. Si l'action du Recourant portait sur la reconnaissance et l'exécution d'un jugement étranger, alors sa marge d'appréciation serait pleine. Si en revanche sa critique était spécifique au séquestre, son pouvoir de cognition serait limité à l'arbitraire (consid. 3.3).
  • En l'occurrence, c'est le lieu du séquestre en tant que lieu de poursuite (art. 52 LP) qui était litigieux, c'est-à-dire une condition déterminée pour revendiquer la compétence des tribunaux suisses pour une demande d'exequatur selon la Convention de Lugano (art. 39 al. 2 CL). Si l'Obergericht a exclu une poursuite au lieu du séquestre à l'encontre de la succession, il ne s'agit pas de la simple exécution du séquestre, mais de l'application correcte des règles de compétence nationale en vue de savoir si une exécution pourrait même être possible en Suisse. Dès lors, le Tribunal fédéral dispose d'un plein pouvoir de cognition (consid. 3.3.1 ss).
  • A la question de savoir si un lieu de poursuite contre une succession indivise existe uniquement si un séquestre a déjà été exécuté lorsque le débiteur était encore vivant, le Tribunal fédéral répond par la négative. Il a notamment souligné que cela serait contraire au but de l'art. 49 LP qui est de permettre au créancier d'agir, dans un cadre limité, lorsqu'il n'est pas encore clair qui est l'héritier ou lorsque les héritiers habitent à l'extérieur et que la succession est dispersée après le partage (consid. 3.5.4).
  • Le Tribunal fédéral a par conséquent admis le recours.


TF 5A_743/2021 du 10 novembre 2021 | Revendication de tiers (art. 106 ss LP) sur la base d'un contrat simulé (art. 18 LDIP et 2 al. 2 CC).


  • Dans les faits, l'Intimé a obtenu un séquestre sur des comptes bancaires existant au nom de D. LLC. La Recourante, la société A. AG, a déposé une action en revendication en faisant valoir un droit préférentiel sur les avoirs faisant l'objet du séquestre. Cette action ayant été rejetée, tout comme les recours qui ont suivi, la société a saisi le Tribunal fédéral.
  • La Recourante a fait valoir qu'elle était le « beneficial owner » des avoirs bancaires litigieux ce qui faisait d'elle, selon le droit new-yorkais, la titulaire juridique des comptes bancaires et des avoirs qui y étaient déposés. A l'appui de son argumentaire, la Recourante a notamment fait valoir un trust agreement (consid. 2).
  • La société recourante a en particulier invoqué la violation de son droit d'être entendue, au motif que l'instance précédente n'avait pas examiné son grief et avait fondé sa décision sur le droit suisse, alors que le droit de New-York était applicable
    (consid. 3).
  • Le Tribunal fédéral a considéré que l'instance précédente avait bien retenu que le droit new-yorkais était applicable. Toutefois, la cour cantonale avait retenu, sur la base des faits apportés par l'Intimé, que ledit contrat de trust avait pour seul but de transférer, par abus de droit, les avoirs de la débitrice à la Recourante, afin d'empêcher l'Intimé de s'en saisir. L'art. 2 al. 2 CC concernant l'abus de droit étant une norme impérative, la cour cantonale avait l'obligation de l'appliquer de par l'art. 18 LDIP (consid. 3.2).
  • L'instance inférieure a donc uniquement examiné si le contrat fiduciaire constituait un acte juridique simulé, ce qui relevait d'une question de fait et non d'une question de droit new-yorkais. Faute pour la Recourante d'avoir démontré une constatation arbitraire des faits, le recours a donc été rejeté par le Tribunal fédéral (consid. 5.3).


TF 5A_157/2022 du 14 novembre 2022 | Revenu saisissable – principe d'effectivité lors du calcul du minimum vital

  • La Recourante a saisi le Tribunal fédéral pour contester notamment le minimum vital qui avait été établi à son sujet par l'Office des poursuites d'Uster. Elle a en particulier critiqué les conditions de prise en compte des suppléments au montant de base.
  • Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a eu l'occasion de rappeler le principe d'effectivité régissant l'établissement du minimum vital. Selon ce principe, les suppléments au montant de base LP doivent être pris en compte pour déterminer le minimum vital lorsque ceux-ci sont effectivement payés par le débiteur. Pour ce faire, ce dernier doit présenter des justificatifs de paiements (consid. 3.1.2).
  • La Recourante a requis que soient pris en compte divers éléments, tels que des primes d'assurance-maladie, des frais de déplacement, d'aide-ménagère et d'alimentation spéciale en raison d'allergie. L'instance précédente a refusé de comptabiliser ces frais en raison de l'absence de justificatifs apportés par la Recourante (consid. 3.3).
  • Dans son écriture, la Recourante a notamment soulevé qu'en raison de son âge et de sa santé, le principe d'effectivité devait être reconsidéré, voire relativisé, du point de vue de la proportionnalité. Elle a indiqué « ne pas être aussi agile sur le plan judiciaire dans les domaines financier et administratif » que ne l'est une personne active. Par cette affirmation, le Tribunal fédéral en a déduit que la Recourante estimait être moins apte à conserver et gérer de tels justificatifs (consid. 3.4.1, 3.4.3).
  • Notre Haute Cour a ensuite rappelé le but du principe d'effectivité qui est d'éviter d'accorder au débiteur un supplément au montant de base pour qu'il dépense ensuite l'argent correspondant au montant pris en compte dans le minimum vital à d'autres fins (consid. 3.4.2).
  • Ce but ne peut être atteint que si le débiteur présente des justificatifs ; une modification de la jurisprudence en vigueur n'étant pas la solution. Si le débiteur omet de justifier les montants supplémentaires, il lui reste encore la possibilité de demander une révision de la saisie des revenus en présentant la preuve des paiements effectifs (consid. 3.4.3, 3.5.1).
  • Le recours a dès lors été rejeté.


V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

1. Destiné à la publication.

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