En raison de la COVID-19, plusieurs provinces canadiennes ont déclaré un état d'urgence sanitaire et émis une obligation (ou une recommandation, selon le cas) pour les employeurs canadiens de recourir au télétravail lorsque les tâches des employés en question peuvent être effectuées à distance. Plusieurs questions d'importance capitale peuvent alors surgir au sein d'une entreprise en lien avec l'exercice à distance d'une prestation de travail. Un employeur peut-il émettre un périmètre ou une distance à l'intérieur de laquelle un employé sera contraint d'exercer ses tâches à distance? Est-il raisonnable pour un employeur d'empêcher son personnel d'exercer sa prestation de travail à l'extérieur du Canada, alors que le télétravail est présentement obligatoire dans plusieurs provinces canadiennes?

Dans une décision québécoise récente, un arbitre a dû se prononcer sur l'application stricte et automatique d'une politique interdisant à un employé d'exercer sa prestation de travail à partir de l'étranger1.

Les faits

L'employé, un professeur agrégé au sein d'une université québécoise, a demandé la permission à son employeur de demeurer à Honolulu, Hawaï, afin d'exécuter sa prestation de travail à distance, et ce, à la suite d'une année sabbatique durant laquelle il avait déménagé à Honolulu avec sa famille. En raison de la situation sanitaire reliée à la pandémie au Canada et d'un antécédent de santé de l'un de ses enfants, la famille souhaitait ainsi demeurer à Honolulu, en raison du bas taux d'infection à la COVID-19 par habitant.

L'employeur refuse la demande de l'employé, il revient donc au Québec sans sa famille, où il s'acquitte de l'ensemble de ses tâches à partir de sa résidence, et ce, sans avoir à se présenter à son lieu de travail une seule fois.

Il présente ainsi une deuxième demande pour obtenir la permission de réaliser sa charge de travail depuis Honolulu afin d'y rejoindre sa famille. L'employeur refuse à nouveau, afin d'éviter de créer un précédent qui pourrait générer de nombreuses demandes de télétravail à l'étranger, entrainant ainsi des contraintes administratives qu'il estime importantes. Notamment, l'employeur refuse de permettre à l'employé de travailler de l'étranger pour les raisons qui suivent :

  • les assurances collectives de l'employeur ne couvriraient pas l'employé à l'étranger;
  • l'employé pourrait avoir des problèmes avec le régime d'assurance maladie québécois et canadienn (par exemple, il pourrait ne plus être admissible à la RAMQ), s'il exécute son travail à distance;
  • l'employé devrait normalement payer des impôts sur le revenu au pays où il séjourne, ce qui constituerait de grands défis administratifs pour le département de la paye et de potentielles difficultés avec le fisc canadien et le fisc québécois;
  • considérant que l'entreprise est responsable de fournir à tous ses employés des conditions de travail sécuritaires et ergonomiques, cette responsabilité serait impossible à assurer à l'étranger;
  • le décalage horaire de 5 heures entre Hawaï et le Québec pourrait causer des difficultés dans l'exécution du travail.

Le syndicat soutient que l'employeur devait, dans l'exercice raisonnable de son droit de direction, tenir compte des circonstances particulières de la demande de l'employé, afin d'éviter une application systématique et stricte de sa politique de télétravail, ce qui constitue un droit de gestion exercée de manière déraisonnable.

L'employeur pouvait-il dans les circonstances refuser le télétravail à partir de Honolulu?

L'arbitre est d'avis que la gestion des conditions de travail et de la documentation administrative de plusieurs employés qui travailleraient de l'étranger peut être contraignante pour un employeur. Ainsi, un tel motif pourrait à première vue être suffisant pour justifier une interdiction générale quant au travail effectué de l'étranger. L'employeur pourrait en effet créer un dangereux précédent s'il acceptait une demande basée sur le seul désir de passer du temps à l'étranger. 

Toutefois, l'employeur se devait d'accepter la demande de l'employé de travailler à partir d'Hawaï, dans le contexte où :

  • Le télétravail était obligatoire pour l'employeur en raison des règles des autorités publiques (et n'était donc pas un privilège);
  • L'employé n'avait aucunement besoin d'être présent physiquement au Canada pour exercer sa prestation de travail pendant la période pour laquelle l'employé demandait de travailler de Honolulu; et
  • La demande de l'employé était fondée sur l'état de santé de l'un de ses enfants.

L'employé avait, au surplus, démontré que le décalage horaire n'affecterait pas la qualité de son travail, puisqu'il s'ajusterait à l'heure du Québec. De plus, il avait souscrit à des assurances privées et avait obtenu la confirmation de la RAMQ indiquant que sa couverture se poursuivrait, même s'il travaillait à partir de Honolulu. Son comptable lui avait également confirmé qu'il n'y aurait aucune incidence fiscale sur son salaire et les retenues applicables, puisque sa résidence principale demeurait au Canada. Les motifs invoqués par l'employeur pour refuser sa demande étaient donc non fondés.

Que retenir?

L'employeur peut généralement, en vertu de son droit de direction, décider du lieu où peut être exécutée une prestation de travail à distance. Cependant, cela ne l'exempte pas d'évaluer les situations particulières et de faire des exceptions raisonnables. Il faut ainsi tenter d'éviter d'appliquer une politique de télétravail de façon stricte, sans égard aux situations exceptionnelles pouvant justifier d'y déroger ou d'y apporter certains assouplissements.

Tant que le télétravail demeure obligatoire en raison de la COVID-19 (et qu'il n'est donc pas simplement un privilège accordé à un employé par une entreprise) et que l'employé souhaitant exercer sa prestation de travail à partir d'un autre pays présente des circonstances particulières et  sérieuses  fondant sa demande, comme l'état de santé d'un membre de sa famille, il convient de consulter un conseiller juridique avant de refuser automatiquement une telle demande. Un employeur pourrait être fondé à refuser le télétravail à partir d'un autre pays, s'il est en mesure de démontrer que la prestation de travail à l'étranger de l'employé en serait affectée, sa présence physique est requise ou d'autres questions importantes sont soulevées pour l'employeur.

Le travail à distance - en particulier dans une autre juridiction - soulève un certain nombre de problèmes complexes liés à l'emploi, à la fiscalité et à d'autres problèmes pour les employeurs. Si vous avez besoin de conseils sur le travail à distance, veuillez contacter l'auteure ou votre avocat attitré chez Fasken.

Footnotes

1 Syndicat des professeurs et professeures de l'Université Laval (SPUL) et Université Laval, 28 janvier 2021.

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